Il attendait ma réponse, dans le soir où pesaient toutes les odeurs du domaine cuit par l'été. Il était là, et pourtant il me manquait horriblement – il me suffisait de tendre le bras. Juste cela. Tendre le bras pour le toucher.
J'en avais faim et soif, même rassasié par le dîner.
Ce ne fut qu'un effleurement, rien de plus. Ma peau, sa peau, quelques battements de cœur.
— Je crois... que ce soir, tu devrais aller avec Hêphaistion.
C'était bien plus difficile à dire que je ne l'aurais cru. À cet instant-là, enfin, je ressentis la pointe de la jalousie. Parce que je rêvais de le toucher, parce qu'au j'aurai voulu nous emmêler dans les draps, dans l'air trop chaud de l'après-midi.
— C'est ce que tu veux ?
— Oui, affirmai-je avec plus d'assurance. Je veux que tu ailles avec lui.
Il espérait peut-être que j'en dise plus, mais le rôle qu'il espérait que je joue était trop nouveau pour moi.
Pour cette fois, cela dû suffire : il approcha pour que j'étreigne, avec un sourire de contentement.
— Merci. C'est gentil.
J'inspirai, une dernière fois, l'odeur unique, suave et piquante de ses cheveux, de sa transpiration. Il sentait toujours divinement bon, et sa joue sous la caresse de mes doigts était douce : il avait suivi les conseils de Pausanias et se rasait.
Enfin, je le repoussai, bien que nos doigts rechignent à se séparer. Jusqu'au bout ils restèrent arrimés, jusqu'à ce que la distance les sépare, alors que je descendais de la terrasse vers les arbres.
— Je reviendrai demain matin, le prévins-je.
Je me retournai souvent ; tant que les arbres ne se refermaient pas sur moi, il resta là, à me suivre des yeux.
Ensuite, il n'y eu que les arbres, l'humus sous mes pieds nus, le vent qui jouait avec les branches. Je marchai sans but lorsque les premiers frissons coururent sur ma peau. Les oiseaux chantaient, indifférents ; j'avais sur mes lèvres, sur mes doigts des picotements, écho de caresses interdites, et dans le bas du dos, une tension qui montait jusqu'à se loger à la base de mon cou.
Je marchai. Les bois, épais, enserraient tout mon champ de vision. La mousse, épaisse, étouffait le son de mes pas. Je m'y agenouillai, y plongeai mes doigts. Des serres qui, je voulais le croire, m'ancreraient comme des racines, profondes, solides. J'étais moins doué qu'Hêphaistion pour me séparer de lui, et lui, je suppose, avait autre chose à penser que de repousser notre lien. Je refusai de penser que c'était volontaire ; qu'il faisait exprès de me partager le rythme des battements de son cœur, et la chaleur qui envahissait son corps.
Il y a un an, je l'avais tué.
La date anniversaire était dépassée d'une lune, la simplification était grossière. Mais pourtant, c'est à cet instant que je ressentis cela : qu'un premier cycle s'était écoulé, et que tout cela, la boite, le sexe, l'initiation, les secrets, le vin, le sang, la chair, la vie, la mort, tout cela se mélangeait.
La nuit était chaude, et le ciel immense.
Je laissai mon corps choir sur la mousse. Fermai les yeux, pressai les paupières. Je fuis le lien avec Hêphaistion pour m'écouler entièrement dans celui que je partageais avec Melanthea.
Alors, nous volons.
C'est la bonne heure pour chasser. Le vent est doux sous nos ailes, le temps clair, la forêt giboyeuse. Pour nous, sous cette forme, qu'importe le temps qui passe : l'année d'avant est comme toute les années, celle d'après n'existe pas. Notre oreille prodigieuse explore le monde, nos yeux le fouillent, guettent le moindre mouvement.

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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...