Tap, tap, tap, faisait le stylet du roi contre le plateau poli de la grande table. L'ancien propriétaire de la maison devait être un grand propriétaire terrien, car son bureau pouvait accommoder une bonne partie des secrétaires qui suivaient Philippos en campagne. Il les avait renvoyés à mon entrée. Nous étions seuls ; j'aurais pu le tuer, si facilement, le tuer, m'enfuir, retrouver Attalos...
Tap, tap, tap. Une ride profonde plissait le front de Philippos, par-dessus ses sourcils froncés.
Enfin, il leva son œil vers moi, droit vers moi, comme pour m'épingler contre les frises géométriques du mur devant lequel je me tenais, gauche et les mains croisées dans mon dos.
— Tu t'es mis dans un sacré bordel, commenta-t-il en se laissant aller contre le dossier de sa chaise. Qu'as-tu as dire pour ta défense ?
— Je n'ai rien fait.
— Je te déconseille de te foutre de moi, me prévint Philippos.
Il reposa son stylet près d'une pile de tablettes de cire et posa la main sur le bureau, les doigts mi pliés, mi ouverts, dans une position qui évoquait les cornes d'un bœuf.
— Alexandros s'attend à ce qu'Antipatros t'accuse de complicité. Qu'est-ce que dira Antipatros quand son courrier me parviendra ?
Des mensonges, parce qu'il n'a aucune preuve.
— Je ne sais pas où est Térês ni pourquoi il est parti, affirmai-je.
— Il se passe des choses étranges depuis ton arrivée.
Tap, tap, tap. Cette fois, c'était l'index de Philippos qui rythmait nos silences.
— Je ne sais pas, répétai-je.
L'air sentait le poivre et le vin ; je déglutis.
— Réfléchis bien, mon garçon, à ce que tu vas dire. (Il se pencha en avant, les coudes sur la table.) Qui t'a offert à mon fils ?
J'ouvris la bouche pour répondre : Antipatros. Rien n'en sortit. Mon regard s'attarda soudain sur la main du roi, sur ses doigts détendus, et l'étrangeté de leur position me frappa, tout comme la formulation de sa question. Les doigts à l'intérieur, repliés, les deux doigts extérieurs comme des cornes, le parfum dans l'air...
Seigneur, me souvins-je, Deux-fois-nés, Rugissant, n'est-ce pas vous qui m'avez offert à Alexandros ?
Je laissai retomber mes mains de part et d'autre de mes hanches et formait, de ma main gauche, le même symbole de reconnaissance.
— Antipatros, répondis-je, mais en levant la main vers mon cœur pour former le signe secret : Dionysos.
Sur la table, les doigts changèrent de position. Je secouai légèrement la tête avant de reformer les miens et d'obtenir une réponse, alors qu'un vertige d'injustice me montait à la tête.
Nous n'étions pas du même thiase, mais nous appartenions au même culte, frères aux yeux des dieux.
Philippos se leva.
— Viens, allons prendre l'air.
Les marches de l'escalier grincèrent sous ses pas ; à travers les cloisons et les plafonds de bois, nous entendions tous les bruits de la maison. Un page lui tendit son manteau et sa kausia [1]. Philippos portait déjà son armure, qu'il ne quittait que pour dormir pendant les campagnes.
Ses gardes nous suivirent à bonne distance. Dans le vacarme du camp, personne ne nous écouterait.
— Tu es très différent dans ce monde, entama-t-il en me dévisageant. Sans ton odeur, je n'aurais jamais deviné que c'était toi.

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La Flèche d'Artémis
FantasyAlexandre, fils de Zeus, est destiné à vaincre au nom de l'Olympe. Orestis, fils de personne, n'est que l'assassin qu'on a privé de nom. Sous l'identité d'Hêphaistion, un jeune noble désargenté dont il a pris la vie, il devra tout faire pour que le...