— Gaïa, il faut faire quelques chose, la supplia Julia.
Gaïa regarda sa sœur. Puis son regard glissa derrière l'épaule de celle-ci, jusqu'au fond du triclinium. Il en fit lentement le tour, passa au-dessus de convives déjà ivres et endormis, sur d'autres plus actifs et arrivés au limites de la décence, sur le petit orchestre qui jouait sans discontinuer, plutôt agréablement depuis que les cuivres l'avaient abandonné, sur les gladiateurs, sur Dyomède, Crassus, la rétiaire. Gaïa s'attarda quelques secondes sur cette dernière. La grande gladiatrice semblait se tenir sur des chardons ardents et jetait des regards de bête traquée autour d'elle en se mordant l'intérieur de la bouche. Ses yeux semblait particulièrement fixer un endroit de l'assistance. Curieuse de connaître la cause de son si évident malaise, Gaïa suivit son regard. Elle découvrit un gladiateur allongé sur une banquette entouré de trois hommes plutôt âgées. Deux le nourrissaient en riant, le troisième, à demi-allongé sur lui, caressait ses pectoraux avec délectation. Ils étaient tous les trois ivres et semblaient se moquer éperdument de ce que leur comportement pouvait avoir de scandaleux. D'ailleurs, ils avaient peu à s'en soucier. On arrivait à une heure où les âmes vertueuses avaient quitté les lieux.
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Valens, après avoir courtoisement remercié le propréteur, avait quitté le banquet accompagné de sa fille qui, pour une fois, n'avait opposé aucune protestation à la décision de son père. Elle devait savoir comment tournait ce genre de soirée quand on s'y attardait un peu trop. Le navarque avait lui aussi pris congé, tout comme le légat Marcus Sentius. Quintus, engagé dans de passionnantes discussions avec des amis ne prêtait aucune attention à ce qui se passait autour de lui. Julia et Gaïa avaient profité d'une compagnie agréable jusqu'à ce qu'elles se retrouvassent seules et ne jouissent plus simplement que de la seule présence de l'une et de l'autre. Gaïa s'amusait surtout à observer, à analyser et à juger les personnes présentes. L'ivresse, la fatigue, la volupté,jetaient bas les masques. Elle lisait les faiblesses, les vices, dans les gestes, les attitudes, sur les visages. Julia s'était adonné au même passe-temps, jusqu'à ce qu'elle remarquât le regard concupiscent et cruel d'Aulus Flavius se détourner peu à peu d'elle pour jeter son dévolu sur quelqu'un d'autre. Sur la petite thrace. Le malaise l'envahit peu à peu.
Quand il avait compris qu'il n'approcherait pas Julia de la soirée, le procurateur s'était arrogé la compagnie de deux très jeunes danseuses. Julia avait pensé à un moment qu'il profiterait des chambres qu'avait mis le propréteur à la disposition de ses invités pour y emmener les deux danseuses, mais il n'en fit rien et cela avait fini par attirer son attention. Le procurateur était connu pour consommer beaucoup de chair fraîche. Chez lui, chez les autres,quand les banquets lui offraient de quoi satisfaire ses désirs concupiscents. On le disait violent et vicieux, ce qui avait contribué à ce qu'elle ne se sentît jamais flattée par l'attention qu'il lui portait. Elle haïssait la violence et la brutalité dans l'intimité. Elle aimait aussi Quintus pour cela. C'était un mari et un amant attentionné, respectueux et tendre.
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Le sable rouge
Historical Fiction78 ap. JC. Province impériale de Lycie-Pamphylie. Une gladiatrice, deux sœurs. Les mirages de l'arène, la haine de l'Empire. Une rencontre entre deux mondes, celui des esclaves et des hommes libres. Des jougs à secouer. Une liberté à conquérir. Mai...