Chapitre L : La pièce manquante

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Julia serrait Marcia dans ses bras. Elle l'embrassait doucement sur le front et lui donnait autant d'amour qu'elle pouvait lui en donner. Autant qu'elle en dispensait à Gaïus quand il pleurait pour d'obscures raisons, autant qu'elle savait en dispenser à Gaïa quand sa sombre petite sœur débordait d'amertume et que son cœur saignait.

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Marcia avait longtemps résisté. Elle avait même refusé de rester dormir à la villa et sans l'intervention d'Atalante, jamais Julia ne l'eût retenue auprès d'elle. La grande rétiaire s'était montrée douce, ferme, compréhensive et intraitable. Marcia avait protesté, Atalante l'avait sévèrement tancée et l'avait rappelée à ses devoirs :

— La domina est ton amie, Marcia, et rien ne t'oblige à rentrer ce soir sur l'Artémisia. On ne refuse jamais son hospitalité à quelqu'un. Encore moins à une personne qu'on aime. Je ne t'ai pas appris ça, Aeshma non plus et Astarté ne comprendrait pas ta grossièreté. Reste ici.

Julia avait alors compris pourquoi Marcia avait disparu. Pourquoi Caper n'avait rien dit à Andratus, pourquoi le cornicularius avait semblé si triste à son intendant. Le ton d'Atalante, sa façon d'évoquer Aeshma et la gladiatrice qui l'avait aidée à Bois Vert. Marcia avait signé un contrat d'auctorata. Mais pourquoi ?

Marcia avait cédé aux injonctions d'Atalante et la grande rétiaire lui avait assuré qu'elle veillerait sur leurs camarades et qu'elle reviendrait la chercher si Tidutanus demandait après elle.

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Julia avait repoussé ses angoisses. Personne n'avait pu l'assurer du destin de Gaïa. Aeshma était restée avec elle et Julia accordait autant sa confiance à sa jeune sœur qu'à la petite thrace. Gaïa était fort capable de l'avoir traînée à la nage, même au milieu d'une mer démontée, jusqu'au lembos et ensuite...

Les deux jeunes femmes, malgré leurs différends, sauraient s'épauler et coopérer. Ni l'une ni l'autre ne baisseraient jamais les bras devant les difficultés et les épreuves. Gaïa et Aeshma, n'auraient pas survécu si longtemps, si elles ne dissimulaient pas en elles une formidable rage de vivre. Julia ne pouvait se laisser aller à un désespoir stérile, à douter de Gaïa et des capacités à survivre d'Aeshma. Si les deux jeunes femmes avaient rejoint le lembos comme le pensaient le capitaine de l'Artémisia, Atalante, Antiochus et Marcia, elles dériveraient peut-être pendant des jours, voir des semaines avant de réapparaître dans le monde des vivants. Julia devait patienter. Par amour pour sa sœur. Par respect.

En attendant, Marcia se tenait devant elle et la jeune fille méritait plus que son attention. Julia, une fois seule avec elle, l'observa plus attentivement qu'elle ne l'avait fait en présence de ses autres visiteurs. Marcia n'avait pas seulement grandi, elle avait développé une musculature déliée et puissante, perdu le reste de ses rondeurs infantiles qui, encore un an auparavant, adoucissaient sa silhouette. Les traits de son visage s'étaient affirmés et son regard s'était acéré. Pourtant, malgré la saleté et leur état déplorable, elle avait gardé ses mêmes cheveux couleur de blés mûrs et ses yeux d'azur pailletés d'or brillaient toujours du même éclat, mais il ne subsistait plus rien d'autre de son enfance et de l'innocence qui s'y accrochait. Marcia, en devenant une femme, s'était endurcie. Jusqu'à quel point ? s'interrogea Julia inquiète.

Le sable rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant