Marcia riait. Elle resplendissait de bonheur. Un bonheur stupide et vaniteux. Elle en était parfaitement consciente, mais elle était incapable de ne pas y succomber. Juchée sur les épaules de Carpophorus, elle levait les bras au ciel, les yeux pétillants de joie. Elle en avait oublié sa jambe, son épaule et sa peur. La peur qu'elle avait ressentie sur le sable et la peur des représailles qui ne manqueraient de tomber quand elle rejoindrait les coulisses.
Elle avait oublié la douleur fulgurante d'une patte qui lui lacérait la cuisse, les crocs de la panthère à deux doigts de ses yeux, les griffes plantées dans son épaule. Et puis, le sang qui lui avait encore une fois inondé le corps, le couteau qui avait tranché la jugulaire, l'agonie brutale du fauve, sa sueur aigre et grasse. Le feulement d'agonie. L'hébétement qui avait suivi. Le cri déchirant de Dacia qui découvre l'étendue des dégâts, la bête étalée sur sa camarade aux cheveux d'or, un deuxième fauve qui s'approche. Le bond en avant de la Dace, la mise en garde affolée. De nouveaux cris, les mollets de Celtine, les mains de Britannia, des voix d'hommes.
Marcia avait commis une imprudence.
.
Elle avait d'abord abattu une lionne qu'elle avait coursée et fatiguée à dos de cheval. Qu'elle avait acculée. Quand elle avait jugé que le moment était venu, elle avait sauté de sa selle. Dacia la suivait, Marcia avait tendu une main et l'hoplomaque lui avait cédé sa lance. Marcia l'avait fait sauter dans sa main. Dacia assurait sa protection, Britannia et Celtine n'étaient jamais loin. La jeune auctorata avait reculé en incitant la bête à la suivre. Une lionne que Marcia trouvait impressionnante et très belle. Elle regretta un instant d'avoir à la tuer. Elle oublia ses remords quand le fauve bondit en avant. Marcia l'attendait. Au moment, où la lionne lui arrivait dessus, elle avait contré son élan. Une technique qu'elle avait beaucoup travaillée avec les meliores. Avec Astarté, puis avec Ajax, quand ils l'entraînaient leur scutum à la main, avec Aeshma et Atalante au pancrace, avec Carpophorus qui lui avait expliqué que, face à un animal aussi lourd et puissant qu'un taureau, un ours ou un grand fauve, le plus fort des bestiaires ne faisait pas le poids. Le mouvement et la précision seule lui sauveraient la vie.
***
Cette technique demandait beaucoup de sang-froid. Aeshma lui avait appris à se détendre, Atalante à bien respirer quand elle se sentait oppressée ou que la peur commençait à sourdre par tous les pores de sa peau. Carpophorus lui avait montré ce qu'il savait faire face à des taureaux ou des hommes spécialement engagés pour lui servir de partenaire d'entraînement dans le petit amphithéâtre du ludus Bestiari. Marcia avait trouvé les démonstrations du célèbre bestiaire impressionnantes et elle s'était désespérée de ne jamais pouvoir l'imiter. Elle en avait parlé à Aeshma qui l'avait traitée d'imbécile et lui avait vertement reproché de ne rien avoir retenu de ses leçons de pancrace. Elle avait été chercher Atalante et avait rudement enjoint Marcia à s'asseoir et à regarder:
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Le sable rouge
Historical Fiction78 ap. JC. Province impériale de Lycie-Pamphylie. Une gladiatrice, deux sœurs. Les mirages de l'arène, la haine de l'Empire. Une rencontre entre deux mondes, celui des esclaves et des hommes libres. Des jougs à secouer. Une liberté à conquérir. Mai...