78 ap. JC. Province impériale de Lycie-Pamphylie. Une gladiatrice, deux sœurs. Les mirages de l'arène, la haine de l'Empire. Une rencontre entre deux mondes, celui des esclaves et des hommes libres. Des jougs à secouer. Une liberté à conquérir.
Mai...
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Aeshma avait fait la leçon à Marcia. Tempérance et prudence. L'intronisation des nouveaux gladiateurs donnait lieu à des excès de boissons, les petits nouveaux finissaient ivre-morts et traînaient ensuite une gueule de bois pendant deux jours. Atalante lui avait fait part de ses doutes quant à l'utilité de cette recommandation.
— Aesh, comment veux-tu qu'elle ne roule pas sur la table au bout d'une heure ? Tu sais très bien comment ça se passe.
— Ben, justement,
— Ce n'est plus une novice, c'est fini maintenant. Elle fait partie de notre familia, tu ne peux plus la traiter comme une gamine.
— C'est une gamine.
— À son âge, tu combattais depuis déjà un an et ça m'étonnerait que tu aies apprécié si un gladiateur avait continué à te traiter comme une novice. C'est son jour de gloire, Aesh. Un jour important pour elle. Laisse-la en profiter.
— Si c'est pour dégueuler partout ensuite, grommela la jeune Parthe.
— Ça fait partie du métier, grimaça Atalante.
Elle trouvait Aeshma trop protectrice. Marcia pour se forger une réelle place dans la familia, devait se débrouiller par elle-même. Atalante pressa Aeshma d'aller rejoindre les autres au réfectoire. La fête battait déjà son plein et des gladiateurs d'autres familias, assis dans leur coin, mangeaient d'un air sombre. Ils étaient engagés pour les jours suivants et leurs doctors veillaient à ce qu'ils ne se mêlassent pas aux beuveries. Les hommes se contentaient donc d'un repas frugal et de posca légère tandis que les gladiateurs de la familia de Téos bénéficiaient d'un véritable festin. Ils s'étaient cotisés et après avoir remis l'argent à leur cuisinier Fabius, ils lui avaient donné carte-blanche pour leur préparer un repas de fête. Fabius n'avait pas eu beaucoup de temps. Les gladiateurs, par superstition, ne prévoyaient jamais une célébration avant la fin d'un munus. Deux novices avaient passé l'épreuve du premier combat, de la plus belle des façons puisqu'ils l'avaient remporté, et il y avait maintes autres victoires à célébrer, parmi les meliores comme parmi le reste des gladiateurs.
Quand Atalante et Aeshma rejoignirent le réfectoire, Marcia était le centre de toutes les attentions. La jeune fille debout sur une table chantait. Les gladiateurs riaient. Déjà bien grise, elle braillait un chant de la légion. Des anciens légionnaires, qui officiaient comme gardes, s'étaient joints à elle. Un refrain simple et entraînant rythmait la chanson et les gladiateurs le reprenaient en cœur en levant leurs gobelets.
Aeshma se fendit d'une grimace et Atalante lui passa un bras en travers les épaules. Anté ne bénéficiait pas de la même attention que Marcia et cela pour une bonne raison. Le jeune novice avait bien gagné son combat contre un novice d'une autre familia, mais il l'avait remporté deux jours auparavant. Le public n'avait pas demandé la tête de son adversaire vaincu et les munéraires avaient accordé la missio au vaincu. Marcia avait tué, pour la première fois. Les gladiateurs ne célébraient pas ce geste, cette mise à mort. Enfin, certains trop frustres pour comprendre ou fascinés par la violence buvaient à cet exploit, à la jugula,mais les autres, plus sensibles, ne s'y seraient pas abaissés. Marcia avait été injustement punie par la foule et ces gladiateurs savaient qu'exécuter un adversaire agenouillé devant soi pour la première fois, changeait une vie à jamais. Le gladiateur, par ce geste, entrait dans un nouveau monde et fermait définitivement la porte de l'ancien. Il ne pourrait plus jamais revenir en arrière. Il embrassait ainsi définitivement la carrière de gladiateur, l'infamie du gladiateur. Marcia était une auctorata, une aristocrate, elle ne serait plus qu'une réprouvée. Après viendrait la gloire, le plaisir, l'argent, mais le premier pas ressemblait bien souvent, pour celui qui le faisait, à une chute vertigineuse.