Chloé entra dans la salle des bains. Le silence la happa. Un silence lourd, pesant.
.
Le ludus Aemilius avait vécu son après-midi suspendu aux cris qui courraient jusqu'à lui. Les bestiaires tournaient en rond dans les couloirs et les corridors. Elles enviaient Marcia qui était partie assister au spectacle.
Dacia se rongeait les ongles, Britannia marmonnait des prières et pensait que ses camarades ne reviendraient jamais parce que, Bastet était morte lors de la première chasse, Achilla s'était fait égorger lors de son deuxième combat, deux autres avaient péri et maintenant Ishtar, Victoria et Boudicca avaient été engagées dans l'une de ces reconstitutions qu'on disait sanglantes et sauvages. Elle était heureuse d'avoir été nommée bestiaire, d'être en vie, mais elle tenait à ses camarades.
Celtine s'était découvert moins indifférente qu'elle ne l'avait toujours pensé au sort des autres. Les gladiatrices engagées étaient presque toutes, à part les camarades de Britannia et Artémis, des filles qui avaient connu l'itinérance du ludus. Des anciennes. Téos n'avait pas présenté de nouvelles recrues. Celtine ne comprenait pas son choix. Les meilleures gladiatrices du ludus combattaient. Elles, et trois débutantes. Elle ne trouvait aucune logique à cette décision. Si elles crevaient toutes qui remplacerait Atalante, Sabina, Aeshma et Xantha ? Les postulantes au premier palus étaient aussi de la partie : Marpessa, Penthésilée, Enyo, Lysippé, Margarita, Bellone. Celtine ne les portait pas vraiment toutes dans son cœur, mais elle appréciait Atalante, elle aimait bien Sabina, sa meliora, Margarita et Bellone. Elle s'entendait bien avec d'autres filles arrivées plus tard, mais elles ne possédaient pas la maîtrise du sable des mélioras et leurs auras semblaient bien ternes et bien insignifiantes quand on les comparait à celles des anciennes. Si celles-ci y laissaient leur peau, le ludus ne vaudrait plus rien. Téos ne pourrait plus présenter des paires d'exception comme Aeshma et Atalante, Sabina et Enyo, les Reines des Amazones. Il ne resterait plus que des filles de seconde zone.
Marcia s'était fait un nom à Rome, elle était célèbre. Mais combien avait-elle de combats à son actif ? Une dizaine ? Les melioras en avaient cinq à six fois plus. Rien qu'elle, Celtine, en comptait presque une trentaine.
Plus de melioras, un second palus anémique ? Et c'était la fin des munus d'exceptions, des munus prestigieux. La familia ne connaîtrait plus que les munus de provinces, avec leurs ridicules petites arènes en bois, leurs munéraires soucieux de ne pas dépenser trop d'argent, leur pingrerie.
Téos œuvrait depuis des années pour hisser, aux yeux des spectateurs, les gladiatrices au même rang que les gladiateurs. Dans certaines villes, leurs prestations étaient aussi appréciées que celles des hommes, aussi attendues. Ce serait fini. Il faudrait du temps à Herennius et Typhon pour former de nouvelles gladiatrices de la trempe des melioras. Xantha combattait depuis dix ans, Bellone depuis huit ans, Aeshma et Atalante depuis sept ans. Un désastre annoncé pensa amèrement Celtine. Adieu les bijoux, l'argent, le confort, les applaudissements des spectateurs, la gloire et la reconnaissance. Leurs prestations ne vaudraient plus que pour leurs corps dénudés. Elles serviraient la concupiscence du public, alimenteraient les fantasmes. Elles ne recueilleraient plus que les rires et les plaisanteries égrillardes. Si au moins, elle avait été assurée de rester bestiaire après les jeux. Un espoir qu'elle sentait vain et inutile à chérir. L'hoplomaque soupira. Elle appela à son aide tous les dieux qu'elle connaissait, ceux qu'on disait glorieux et victorieux, ceux qu'invoquaient les gladiateurs : Mars, Minerve, Hercule, Némésis, Arès, Artémis, Niké. Sans oublier la déesse sauvage qu'on adorait sur les terres de ses parents, celle en qui croyait encore Boudicca et Britannia : Andrasta la glorieuse.
VOUS LISEZ
Le sable rouge
Fiction Historique78 ap. JC. Province impériale de Lycie-Pamphylie. Une gladiatrice, deux sœurs. Les mirages de l'arène, la haine de l'Empire. Une rencontre entre deux mondes, celui des esclaves et des hommes libres. Des jougs à secouer. Une liberté à conquérir. Mai...