Julia arpentait nerveusement la pièce. Les années n'avaient pas d'un voile apaisant recouvert la peine et la colère qui parfois, explosaient comme un volcan capricieux dans les yeux de Gaïa. Elle s'immobilisa soudainement et se tourna vivement vers sa jeune sœur assise confortablement sur un sofa.
— Tu es venue pour ça, gronda-t-elle. Tes affaires, tes propositions, ne sont qu'un prétexte.
— Les assassins méritent leur châtiment, répondit simplement, Gaïa.
— Gaïa, je le connais depuis longtemps et il n'a rien d'un assassin.
— Il a suivi la Xe légion partout où elle s'est rendue. Lui et la Fulminata ne font qu'un.
— Il n'est pas né dans une tente, Gaïa.
— Je le sais bien. Il a rejoint son commandement quand, dans la douzième année du règne de Néron, la Fulminata a été massacrée à Beth-Oron. On a envoyé des milliers d'hommes pour combler ses effectifs et son commandement a aussi été renouvelé à cette occasion. Vespasien l'a ensuite remarqué, puis Titus. Il était à Gerasa*.
— En es-tu bien sûre ? Vespasien avait envoyé Lucius Annius à Gerasa, pas une légion.
— Un détachement de la Fulminata y était présent et c'est lui qui en assurait le commandement.
— Il ne pouvait pas s'opposer à un ordre de Vespasien, il était là où il avait l'ordre d'être, Gaïa.
— Il était là où ses légionnaires massacraient aveuglement les populations.
— C'est un homme droit.
Gaïa perdit soudain son insouciante nonchalance. Elle se leva brusquement.
— Il est responsable, dit-elle d'une voix tranchante. Il a trempé son glaive dans le sang des nôtres, lancé des torches dans notre maison. Tuer, violer, massacrer, déporter, voilà ce à quoi s'occupait ton homme droit. Droit dans le mal.
— Pourquoi...
— Pourquoi je ne peux pas oublier ? Parce que la nuit, des bruits d'armes, des hurlements de terreur, des supplications de femmes en pleurs, des cris d'agonie et des beuglements de pillards hantent mes rêves. Parce que je ne peux pas oublier le visage de ma mère égorgée, vidée de ses entrailles, les yeux de Lucia... Tu te rappelles de ses yeux, Julia ? Quand nous l'avons trouvée en sang dans le triclinium?
Un goût de bile envahit soudain la gorge de Julia. Elle se souvenait. Elle se souvenait surtout de Gaïa. Elle avait douze ans quand leur vie sans soucis avait basculé dans l'horreur, c'était une jeune fille insouciante et joyeuse. Heureuse. Jusqu'à ce que la ville soit investie par les légionnaires. Ils cherchaient les juifs, ils avaient fini par ne plus faire aucune distinction entre eux et les autres. Julia avait sauvée Gaïa, elle avait tué pour elle et elle l'avait cachée. Elle avait entendu. Tous ces cris qui agitaient le sommeil de Gaïa. Depuis dix ans, ils ne s'étaient pas assourdis, ils ne s'étaient pas tus. Gaïa avait beau se montrer dure et intouchable, elle n'avait jamais surmonté cette épreuve.
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Le sable rouge
Historical Fiction78 ap. JC. Province impériale de Lycie-Pamphylie. Une gladiatrice, deux sœurs. Les mirages de l'arène, la haine de l'Empire. Une rencontre entre deux mondes, celui des esclaves et des hommes libres. Des jougs à secouer. Une liberté à conquérir. Mai...