Chapitre CXXII : Le Cupidon lève l'ancre

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Le navire craquait. Chloé le sentait rouler sous elle. Une illusion soigneusement entretenue par sa peur car dehors, le calme régnait sur la nuit. Les amarres pendaient, immobiles, aussi immobiles que l'était le Cupidon. En prêtant l'oreille, on aurait peut-être pu entendre le clapotis discret de minuscules vaguelettes caressant plus qu'elles ne la heurtaient, la coque du petit navire. La mer bougeait à peine, une brise à peine perceptible effleurait la surface des flots sans parvenir à la rider. Les fils suspendus aux haubans frémissaient à peine.

La troisième veille allait bientôt sonner ou claquer. Le port dormait, les auberges étaient closes, les ivrognes ronflaient, les prostitués récupéraient. Seules des patrouilles de miliciens faisaient parfois entendre leurs caligaes sur la chaussée. Il restait peu de temps avant que la ville ne s'éveillât avec le soleil, du moins, ceux qui avaient des affaires à traiter ou les artisans. Les boulangers faisaient déjà chauffer leurs fours, les tisserands et les forgerons travaillaient toute l'année du lever au coucher du soleil et l'on profitait des mois d'hiver pour entreprendre des travaux de gros œuvres et de voiries. Malgré tout, l'activité de la capitale de Lycie-Pamphylie ralentissait en hiver. Les échanges commerciaux se limitaient aux villes les plus proches. Un peu de cabotage et quelques convois par voies de terre. Dans un mois, si le temps se montrait clément, les échanges par voies de terre reprendraient. Dans deux mois, les grandes routes maritimes se couvriraient de navires et Patara fourmillerait à nouveau d'activités. L'hiver était le temps des plaisirs, des représentations théâtrales et des munus. Des dîners entre gens de bonne compagnie et des promenades. De la chasse et du repos. On se réfugiait aux thermes, on entretenait sa forme par des exercices gymniques et du sport. On réglait les contentieux commerciaux et administratifs, ce qui expliquait l'absence du propréteur Sextus Baebius Constans et du centurion de la Fulminata à Patara. Les habitants y étaient entre eux. Étrangers, bergers, journaliers agricoles, voleurs, voyageurs, marchands, négociants, aventuriers venus de l'est lointain ou s'apprêtant à y partir, ne reviendraient donner des couleurs à la petite cité qu'à la fin du mois de mars.

La ville, et la mer qui s'étendait derrière la jetée qui prolongeait le cap naturel contre lequel s'appuyait le port, ne présentaient ni danger ni sujet à s'inquiéter de l'heure ou du lendemain. La nuit présageait une aube sereine et une journée calme et ensoleillée. La brise viendrait, mais elle ne lèverait pas de vagues, elle ne secouerait pas les branches des pins et des chênes verts, et ne ploierait pas les ramures d'oliviers sur son passage.

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Chloé n'avait pas aimé Rome. Elle avait trouvé la ville trop grande, trop peuplée et surtout trop bruyante. Le bruit ne cessait jamais dans la capitale de l'Empire. Plus présent encore la nuit que le jour. Elle avait souvent mal dormi et les trois mois de combats, les morts qui s'étaient succédé, les blessures, les banquets, ne l'avaient pas aidée à passer des nuits sereines.

De la traversée entre Ostie et Myra, elle gardait le souvenir des nuits glaciales, d'une attente et d'une course haletante dont elle n'avait tout d'abord pas su le but. Les gladiateurs avaient instauré une discipline stricte et s'étaient astreints à des entraînements, mais elles les avaient sentis tendus. Plus encore Marcia, Atalante, Astarté et Aeshma. Elle avait découvert les dominas tourmentées et quand Saucia lui avait demandé de s'occuper de Julia Metella, Chloé avait retrouvé des tensions, des réactions et un corps qui, comme ceux des gladiateurs ou des gladiatrices, lui avait arraché des larmes qu'elle avait soigneusement dissimulées. Saucia avait su parce que Saucia savait toujours, et Chloé avait laissé couler ses larmes silencieuses sur son épaule. Elle avait aussi recherché la présence d'Atalante parce que celle-ci l'apaisait. Mais la grande rétiaire lui avait paru plus sombre qu'à son habitude. Chloé en l'observant avait décelé plusieurs causes dont certaines lui semblaient inexplicables. Ainsi la jeune gladiatrice se montrait particulièrement attentive à Aeshma et à Marcia ce qui n'était pas étonnant. Elle suivait souvent Astarté du regard, ce qui l'était un peu plus. Elle avait pris Julia Metella sous son aile et son regard se durcissait parfois quand elle découvrait la domina taciturne ou franchement triste et Chloé avait pensé ne pas avoir bien entendu la première fois qu'Atalante avait appelé Gaïa Metella par son prénom. La seconde fois, elle n'en avait pas cru ses oreilles et ensuite, à chaque fois que cela se produisait, elle marquait un temps d'arrêt. Aeshma avait passé un mois et demi seule avec la jeune Alexandrine et c'était Atalante qui l'appelait par son prénom ? C'était si étrange. Et puis, il y avait le mystère Zmyrina. Chloé ne comprenait pas pourquoi Atalante s'inquiétait pour cette esclave. Elle et Marcia. Aeshma aussi dans une moindre mesure. Avec beaucoup plus de discrétion, mais non moins d'attention.

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