Chapitre 76 : Désespoirs de princes

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Pour la énième fois, Tharros se maudit intérieurement alors qu'il se faisait sortir sans délicatesse de son lit par ses sœurs. Il ne fit aucune résistance, sachant pertinemment qu'il n'avait pas d'autre choix que de les suivre, et aussi garder sa langue pour ne pas aggraver son cas.

La porte de la chambre de Desdémone fut poussée et Alopex le fit asseoir sur le lit d'un geste ferme avant de rejoindre Sophia près de la malle à vêtements pour choisir l'étoffe qu'elles lui feraient porter. Tharros les fixait avec appréhension, s'attendant au pire. Leurs ricanements et chuchotements étaient bien loin de la rassurer. Par moment, l'une d'elles tournaient la tête vers lui avant de glousser comme une idiote et de reprendre leurs murmures. Quand elles étaient toutes les trois dans leur coin à ricaner ainsi, tous pouvait arriver.

- Ça devrait lui convenir, rit une voix.

- Non, celui-là est beaucoup mieux et ils les rendra tous fous.

- Je suis d'accord.

Elles avaient encore le dos tourné, et s'il parvenait à se faire suffisamment discret, il pourrait rejoindre la porte, la passer et courir dans les corridors pour rejoindre n'importe quel endroit où on ne le trouverait pas, les écuries, le bureau de sa mère ou alors la chambre de sa grand-mère. Elles ne penseraient probablement pas à le chercher là-bas.

Alors qu'il se levait du lit de sa demi-sœur pour mettre à exécution son idée, Alopex bondit soudainement devant lui, le faisant sursauter au passage et lui présenta l'étoffe de soie vert qu'on lui ferait porter pour la journée. Il grimaça alors qu'un large sourire gagnait sa sœur de lait.

- Et ce n'est pas tout, intervint Desdémone, on te coiffera et te maquillera. Tu vas voir, tu seras beau comme un dieu.

- Ou comme une déesse, corrigea Sophia en pouffant.

Sa jumelle l'attrapa fermement par le bras et entreprit de décrocher les fibules de son chiton de laine. Tharros, irrité et agacé, tapa sa main trop entreprenante à son goût. Il arracha la soie verte à Alopex et profitant d'une alcôve aperçut plus tôt et pourvu d'un rideau, il se déshabilla, la mort dans l'âme.

Il y avait à peine une semaine, sûr de lui, il avait fanfaronné devant tous à l'entraînement, les esclaves, les éphèbes, ses sœurs et son frère, qu'il serait capable de battre au bâton Pistos. Et certain de sa victoire, il avait ajouté que le perdant se déguiserait en fille et resterait ainsi jusqu'à la fin de la journée. Pistos avait relevé le défi sans attendre et à la palestre, on aperçut même les visages de la reine, de leur grand-mère et la médecin en chef, sorties de la fraîcheur agréable du palais pour ne pas rater cette occasion. Tharros avait engagé, certain de gagner. Mais ce n'était pas sans compter la longue expérience du cousin de sa mère, habile. Devant tous, il l'avait battu et fait tomber à terre presque chaque fois. Et c'était ainsi chaque fois qu'il se mettait debout, sans aucun répit.

Malgré lui, Tharros avait supplié qu'il cesse et avait reconnu en bougonnant que Pistos était meilleur que lui et qu'il n'aurait pas d'autre choix que de se vêtir en fille pour toute une journée. Il était resté durant tout ce temps dans à chambre, perclus de courbature et d'ecchymoses, et fuyant accessoirement les moqueries des autres. Il ignorait pourquoi elles s'étaient décidées à lui faire prendre ses engagements maintenant. Il aurait mieux fait de seller son cheval pour s'éloigner d'ici ou alors bloquer la porte de sa chambre pour ne pas subir l'excès de zèle de ses sœurs et se cacher, pour l'éternité s'il le fallait.

Il accrocha la fibule et regarda avec une grimace l'étoffe tombée à ses pieds, lourde de broderies. Il se sentait soudainement gauche et horrible. Il espérait qu'il ne tomberait pas de toute la journée sur un quelconque reflet qui lui renverrait son image. Mais il soupçonnait ses sœurs d'avoir un miroir, avec un peu de chance, peut-être pas assez grand pour montrer tout entier son apparence provisoire.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant