Chapitre 65 : Fatales destinées

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Le bûcher funéraire prit feu avec ses offrandes et une belle chevelure blonde qui se réduisait maintenant en cendres. Les flammes prirent d'abord le bois sec puis remontèrent doucement jusqu'au corps lavé et parfumé de Patrocle. Achille se tenait près du bûcher, pleurant pour son amant. Les autres n'étaient là que pour les jeux qui allaient bientôt se dérouler et les récompenses qui les attendaient, le reste leur importait peu.

Clelia était dans l'ombre, bras croisés en regardant le corps de son ami devenir un tas de cendres. Elle se tenait éloignée des autres, préférant ne pas s'afficher auprès du Myrmidon depuis la mort d'Hector. Elle ne savait qui était le plus à blâmer. Hector pour être sorti de Troie et avoir risqué sa vie, Achille pour avoir refusé de combattre et mis en danger son amant.

Les flammes s'élevèrent dans le ciel doucement teinté de rose et d'orange. Pour un peu, elles s'y confondaient et ne faisaient plus qu'un. Et entre les crépitements du bois, les lamentations d'Achille, de Thétis et des quarante-neuf Néréides aussi montaient comme la fumée. Au moins, elle faisait office de pleureuses, il n'y en avait pas ici, contrairement à Troie.

Cette odeur de chaire brûlée et tous ces morts... Clelia n'en pouvait plus. Celle de Desdémone l'avait presque achevé et elle était partie pour à la fois venger sa fille et s'éloigner de cette cité qui la méprisait. Les révélations d'Achille l'avait également brisé, horrifiée d'apprendre qu'un noble de Troie en personne ait pu être derrière tout cela. Il ne restait plus qu'à apprendre son nom, mais elle ne voyait pas par quel moyen elle le pourrait. Elle n'avait pas encore prévenu Déiphobe, elle attendait la prochaine lune noire pour le faire. Mais maintenant, avec Hector lui aussi mort, elle ne voyait pas quoi faire. Très certainement, son époux avait pris la place de son aîné pour diriger l'armée et était beaucoup trop occupé a les diriger pour pouvoir la rejoindre. Et rien que cette idée la faisait trembler, il serait davantage en danger et les Achéens chercheraient à le tuer. Elle ne supporterait pas de le perdre.

En pensant à son beau-frère, elle se tourna inconsciemment vers le campement d'Achille où se trouvait son corps. Il était laissé à l'air libre, aux charognards. Elle avait une profonde peine mais aussi une immense colère. Hector ne méritait pas cela. Il avait droit à des honneurs qui lui étaient dignes, à avoir du respect. Mais cela, Achille s'en moquait bien. Il voulait lui faire payer jusqu'à la fin ce qu'il avait fait à Patrocle.

La plus dévastée par ce terrible traitement du corps du guerrier était Thysié. Chaque jour, elle suppliait à genoux Achille de lui rendre la dépouille de son frère. Mais dans son dédain, il méprisait la jeune femme et la chassait rudement, comme si une mouche l'agaçait, de même pour l'ambassade troyenne qui venait avec mille cadeaux, tous aussi somptueux. Clelia avait mal pour sa belle-sœur qui était elle aussi prête à tout pour offrir des funérailles, allant même proposer de devenir son esclave. Achille refusait sans cesse, et dans son désespoir, elle l'ensevelissait discrètement. Mais c'était sans compter sur les soldats qui y veillaient et qui plusieurs fois l'avait attrapé, à la manière d'Antigone. Mais Clelia, pour lui éviter un châtiment qu'Achille pourrait lui infliger, intervenait. Maintenant, elle évitait de laisser Thysié seule, soit elle la surveillait, soit Pistos le faisait pour elle.

- Lumineux Apollon qui veille sur nos pas, aies pitié pour cet homme de valeur qu'était Hector et évite à son corps de connaître l'infamie du temps. Fais fléchir Achille et permet à Hector de connaître les honneurs des funérailles, pour que son âme puisse se rendre jusqu'aux Champs-Élysées, sa place, murmura Clelia.

- Je suis étonné de voir que tu prie pour lui, intervint Ulysse. Je pensais que tu vouais aux troyens une haine sans égale.

Clelia fit une moue ennuyée avant de se tourner vers le bûcher, les yeux perdus dans les flammes. Ulysse n'y prêta pas attention et se mit à côté d'elle, observant la même chose. Il s'adossa nonchalamment au tronc d'un cyprès alors que sa voisine restait aussi droite qu'une lance.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant