Chapitre 142 : Fausse veuve éplorée

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Après l'entrevue avec le conseil, plus personne n'avait quitté ses appartements, détruits par tout ce qu'ils avaient appris. Même Clelia n'avait plus la force de se lever et depuis qu'elle était revenue de Troie, elle abandonna volontiers et de son plein gré le travail qui l'attendait dans son bureau, allant même jusqu'à refuser la moindre audience au palais. Les aveux successifs de Sophia en révélant toutes les horreurs vécues et que personne n'avait remarqué, celles d'Andrios aussi auprès de son père avaient achevé le moral de tout le monde. Et Tharros, bien qu'ayant moins pâti qu'eux, sentait la culpabilité l'envahir chaque fois qu'il repensait à ce qu'il avait entendu. Il pourrait creuser un trou et s'enterrer vivant s'il le pouvait, à la place, il préférait se terrer dans sa chambre, ne voulant voir personne. Il n'y avait que Desdémone et Alopex qui se présentaient pour lui apporter les repas ou voir comment il allait. Mais c'était tout.

La pénombre à laquelle il s'était habitué laissa place à un jour peu lumineux et terne. Alopex était entrée dans sa chambre sans l'avoir entendu et tenait dans ses bras des vêtements noirs qu'elle posa sur un coffre.

- Tharros, tu m'écoutes ?

Il s'assit sur son lit et regarda sa sœur de lait qui relevait les dernières peaux huilées pour laisser la lumière entrer. Il remarqua alors qu'elle portait aussi des vêtements noirs. Ses cheveux qu'elle coiffait d'habitude en chignon étaient recouverts par un tissu noué en turban de la même couleur.

- Léonidas est là, répéta-t-elle patiemment. Est-ce que tu veux le voir ou je le renvoie ?

Entendre ce nom le sortit un peu du brouillard dans lequel il se trouvait et il repoussa immédiatement ses couvertures pour s'habiller.

- Autre chose. Dans quelques heures, ce sera les funérailles, Desdémone a dit au gynécée de te tisser des vêtements pour l'occasion et ils sont prêts. Où vas-tu le recevoir ?

Il regarda sa chambre qui n'était pas approprié pour recevoir qui que ce soit, et encore moins la pièce qui servait d'entrer lorsqu'on pénétrait ses appartements. Le désordre y régnait et il y avait trop de documents importants pour qu'il se permette d'accueillir son compagnon, malgré tout l'amour qu'il lui portait.

- Le jardin, ce sera le mieux.

- Alors mets un himation chaud. Je vais le prévenir.

Alopex quitta la chambre et referma la porte pour lui laisser le temps de s'habiller. Il observa avec une moue contrariée les vêtements noirs. Loïmos était la dernière personne dont il avait envie de faire le deuil ou de pleurer en public. Il pourrait se réjouir à la place de sa mort, mais il n'avait pas le moral suffisant pour le faire. Alors il se résigna à porter les vêtements noirs, dont la dernière fois remontait aux funérailles de sa grand-mère. Et en repensant aux motivations de Loïmos, à la haine féroce qu'il portait à Terpsis et Clelia pour ce qu'elles avaient fait à son maître, maltraitant au passage sa jumelle, une seule pensée lui venait en tête, amère : tout cela parce qu'un conseiller et sa souveraine étaient en profond désaccord, sans possibilité d'arranger un peu.

Il sortit de ses appartements et fut un peu déstabilisé par le silence qui régnait dans les corridors et à l'extérieur du palais. En temps normal, le palais bruissait comme une ruche d'abeilles et les esclaves se déplaçaient en courant presque tandis qu'à l'extérieur, il était possible d'entendre l'animation à proximité de la cour du palais, avec quelques rumeurs des badauds. Mais quand il sortit dans le jardin, il comprit. La neige était tombée et elle absorbait tout les bruits. Ce calme n'avait pas dérangé Tharros, il lui avait même fait du bien parce qu'il était avec lui-même et sans rien pour le perturber.

Il observa le jardin endormi sous une épaisse couche de neige qui craqua à chacun de ses pas. Léonidas qui l'attendait et lui tournait le dos, lui fit face et en voyant sa mine peu avenante et les cernes noires, il eut un petit sourire qui oscillait entre la joie de le revoir et la peine de le voir ainsi. Tharros alla directement s'asseoir sur le banc de pierre dont il dégagea la neige et il s'assit, d'abord surpris par le contact glacial avant de s'habituer.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant