Chapitre 44 : Rumeurs destructrices

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Hécube faisait les cent pas dans sa vaste chambre. Elle ne cessait de se ressasser les problèmes qui s'accumulaient au cours de ces derniers mois. Le mariage de son fils n'était toujours pas consommé et Clelia n'aidait pas à accomplir la chose, elle restait farouchement opposée à coucher avec Déiphobe. Si seulement cette garce n'était pas là...

- Elle doit avoir au plus vite un enfant de Déiphobe ! s'écria-t-elle en se tournant vers son époux. C'est impératif, l'enfant qui naîtra assurera la paix et nous vivrons enfin sans soucis. Peut importe comment, de force s'il le faut, mais elle doit avoir un enfant, c'est urgent !

Priam lissa sa barbe blanchissante et réfléchit au problème. Leur fils n'avait pas touché une seule fois son épouse et celle-ci ne se mélangeait pas à sa nouvelle famille. Elle restait toujours dans son coin et ils ne voyaient son visage seulement pour les repas. Le reste du temps, elle le passait dans sa chambre ou dans le jardin où elle arrachait les mauvaises herbes et plantaient des graines à un endroit qu'elle entretenait. Les manières de sa bru suscitaient l'étonnement, et même le mépris. Mais Clelia s'en moquait bien, elle ne changeait pas ses habitudes.

- Qui sait si les heures qu'elle passe dans le jardin n'est pas pour faire pousser des plantes empoisonneuses ! Elle en est capable, Priam, elle n'est pas seulement médecin ou sage-femme comme elle le prétend mais aussi magicienne ! Il suffit qu'une femme enceinte pose les yeux sur elle et elle perd l'enfant ! Elle passe de longues heures à réciter des prières ou alors des malédictions, peut-être les dirige-t-elle sur nous !

Priam l'observa sans dire piper mot. Il avait lui aussi eu vent de ses rumeurs. Elles suivaient chacun des pas de la nouvelle princesse de Troie, là où elle passait, on murmurait et même, médisait sur son compte. Son visage fermé, hautain et froid n'invitait pas la discussion, elle restait toujours silencieuse. Depuis les noces, il n'avait pas eu le souvenir de l'avoir vu sourire une seule fois, alors que la jeune fille de jadis en distribuait à tous, et gratuitement.

Contrairement à son épouse et des habitants, Priam avait pris en compte les blessures qui affectaient encore Clelia. Il comprenait sa tristesse et voyait parfois dans son regard la souffrance qu'elle cachait en elle. Il était peut-être le seul, avec Déiphobe, à avoir compris les drames qu'elle avait vécu et qui la marquaient encore.

- Polyxène m'a même dit qu'elle tourne autour d'un esclave, elle parle avec lui durant de longues heures et rit à chacun de ses mots. Elle lui a caressé le visage, Priam ! Il est hors de question qu'elle fasse de mon fils un cocu ni qu'elle attire sur notre famille le déshonneur !

La véhémence d'Hécube le surprit. Elle ne l'était que très rarement, seulement lorsqu'on touchait ou s'en prenait à ses enfants adorés. Clelia était aujourd'hui la personne sur laquelle elle pouvait cracher tout son venin, elle ne la supportait pas, elle était grecque et une des conseillère du général en chef. Tous ce qu'elle ne devait pas être à Troie. Mais la voir si hermétique à toutes les rumeurs qui se murmuraient sur elle, la rendait presque malade. Hécube espérait blesser ainsi la fière reine de Delphes, en vain.

- Je refuse que cette sorcière continue ses manigances. Je veux savoir ce qu'elle cache dans ses coffres, tout cela n'est pas normal.

- Hécube, c'est ridicule, la raisonna-t-il. Tu hais Clelia pour un motif insignifiant, elle n'est pas sorcière, elle ne métamorphose pas ses ennemis comme Circé ou Médée. Tu ne la supportes pas à cause de sa mère et de son mode de vie. Mais ce sont les coutumes de Delphes, pas les nôtres. Nous ne pourrons convertir Clelia aux nôtres, c'est ainsi.

- Je veux voir ce qu'elle cache dans ses coffres et dans sa chambre, répéta-t-elle, déterminée.

Le vieux roi eut un soupir de lassitude. Cette violence chez Hécube et en général le dépassait, il vivait cela depuis si longtemps. Quand les dieux cesseront-ils de lui envoyé la guerre à ses portes et épargneraient-ils sa cité de cette folie meurtrière ?

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant