Chapitre 89 : Vœu déraisonnable

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Tharros grimaça quand la corde de sa cithare se rompit, provoquant une note désagréable. Desdémone cessa immédiatement sa danse et regarda son frère cherchant une nouvelle corde.

- Alors ? s'enquit-elle.

- Je n'ai plus de corde, j'ai changé récemment celles de ma lyre. Il faudra attendre notre retour au palais.

Desdémone eut à son tour une grimace qui fit rire son frère et s'installa près de lui, assise sur l'herbe, au pied de la souche d'un chêne abattu, essoufflée. Elle attrapa l'outre de vin et but de grandes gorgées avant de lui en proposer, ce qu'il refusa d'un geste. Il regarda le ciel qui était bleu malgré la froid de l'hiver.

- Tu crois qu'on peut encore aller trouver des châtaignes et des noisettes ou alors la saison est passée ? questionna Desdémone.

- Il doit en rester encore mais enfoui sous terre par les écureuils. Si tu as envie de creuser la terre, c'est le moment.

- Et la grenade, là-bas, tu crois qu'elle est mûre ?

Tharros se retourna vers l'arbre qui n'avait presque aucun fruit mûr malgré la saison, encore vert bien qu'ayant quelques teintes de rouge qui apparaissaient. Avant même qu'il ne dise quoi que ce soit, sa sœur se leva et courut jusqu'au grenadier pour prendre l'une d'elles.

- Je te le déconseille, tu vas ensuite te retrouver avec une terrible indigestion, il ne faudra pas te plaindre, après !

- C'est ce qu'on verra !

Il lui tourna le dos et entreprit de ranger son instrument dans la grande besace de cuir pour protéger le bois de l'humidité. Il resserra son himation pour éviter que le vent ne la fasse davantage frissonner. Desdémone revint en courant vers lui, avec la grenade, une mauvaise herbe et sa dague d'ambre dans le fourreau qu'elle portait à sa ceinture.

- Si tu as mal au ventre, je ne te donnerai rien pour te soulager et je dirai la même chose à notre mère et ta tante, la prévint-il.

- J'ai appris quelque chose chez les prêtresses. J'ai réussi une première fois là-bas mais il faut que je réessaye.

- Et quoi ? Je ne suis pas certain que ça marchera, elles t'ont simplement joué un tour de passe-passe...

- Tu me payes une nouvelle selle pour Chioné si j'y arrive, et si ce n'est pas le cas, je te payerai ton glaive pour l'éphébie.

- Ça m'arrange plus ou moins. Ça coûtera toujours moins cher que les bijoux de Sophia. Montre toujours, mais prépare-toi déjà à prévenir le forgeron pour que je puisse avoir ce glaive au plus vite, ajouta-t-il avec un petit sourire.

Elle mit ses mains en coupe dans laquelle reposait la grenade et ferma les yeux. Tharros vit ses lèvres remuer un moment et sous ses yeux, la grenade devint très lentement de plus en plus grosse et prit une teinte rouge vive avant d'occuper la totalité de l'espace. La mauvaise herbe était complément consumée et n'était plus qu'un petit tas de cendres. Il écarquilla les yeux de surprise et resta bouche bée. Desdémone afficha un sourire satisfait quand elle vit les grains aussi rouges que l'écorce et en prit un avant de tendre une partie à son frère. Tharros s'attendit à un goût acide et désagréable. À la place, le sucre coula dans sa gorge et la graine craqua sous sa dent. Il n'en revenait pas.

- Tu peux désormais me payer ma selle, lança joyeusement Desdémone en étudiant sa réaction. Alors, c'est toujours un tour de passe-passe ?

- C'est prodigieux ! Tu peux faire ça avec absolument tout ?

- Uniquement sur les objets inanimés, sur les êtres vivants, aucune de nous n'en est capable et de toute façon, seules des magiciennes comme Circé, Médée ou Hécate le peuvent. Mais je suis déjà assez fière de ce que j'arrive à faire. La prêtresse m'a dit que je suis talentueuse et que personne avant moi n'a été capable de changer ça avec autant de faciliter.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant