Desdémone fixa l'horizon, hagarde alors que les nefs voguaient vers Delphes. Elle n'entendait pas les soldats qui parlaient d'elle ainsi que les déplacements. Elle demeura assise à la proue de la nef, une jambe pendant au-dessus du vide. Elle laissait ses larmes coulées, silencieuse. Elle repensait à ce que lui avait dit sa mère, quand elle l'avait retrouvé chez les Amazones et de nouvelles qu'on lui avait apprises. La mort de toute sa famille, son père compris et l'esclavage des survivants. Un mois après, elle ne parvenait toujours pas à faire son deuil. Comment pouvait-elle le faire si elle n'avait pu assister aux funérailles de sa famille ?
Les mêmes images l'assaillaient. Les retrouvailles avec sa mère et sa tante, leur joie et incrédulité de la savoir en vie alors que tous pensaient qu'elle était morte.
Pour fêter cela, Tlémon qui était désormais reine des Amazones avait proposé à Clelia d'organiser la cérémonie d'initiation avant qu'elles ne repartent. Durant toute cette soirée où la gaité était de mise, pas une seule fois sa mère ou sa tante n'avaient évoqué Troie. Elles étaient restées silencieuses, et insouciante, Desdémone recevait la cicatrice et dansait. Puis au matin, elle avait voulu prendre des nouvelles de sa cité et c'était là que Thysié lui avait tout révélé, en présence de Clelia. La fille avait appris toute la vérité, la mort de son père, de son cousin et de ses tantes. Pendant un instant, Desdémone était restée immobile, incapable de dire quoi que ce soit avant de lever et de marcher. C'était là qu'elle avait éclaté en sanglot et se souvint des dernières paroles que son père lui avait dites. C'était alors la dernière fois qu'ils se voyaient et elle devait attendre sa propre mort pour le retrouver.
- Hermès et juges des Enfers, ayez pitié de mon père et de ma famille, soyez bon et laissez-les accéder aux Champs-Élysées, murmura-t-elle.
Elle entendit un miaulement près d'elle et sentit son chat se frotter à son bras. On lui avait dit que personne n'avait vu l'animal roux se glisser dans les cales et on n'avait remarqué sa présence qu'au retour de Clelia des Amazones, comme s'il avait senti la présence de sa maîtresse, comme s'il savait depuis longtemps qu'elle n'était pas morte.
Il ronronna quand elle caressa sa tête. Son chat était le dernier lien qui la relier à Troie, désormais en ruine. Clelia lui avait proposé de faire un détour par la cité si elle le désirait, mais elle avait refusé, pour ne pas subir un nouveau bouleversement, comme pour cette attaque surprise qu'elle avait vécu alors que Phobéra et elle marchaient pour rejoindre les Amazones. Ce serait trop dur de revenir dans une cité qui n'était plus rien, et plus encore d'être confrontée aux souvenirs. Elle avait déjà perdu ceux de cette attaque, à la mort de Phobéra et ne se souvenait plus de comment elle avait pu rejoindre les Amazones. Ses souvenirs s'arrêtaient à la veille de ces événements, quand elle disait au revoir à Troie. Si elle avait su que c'était la dernière fois qu'elle voyait son père...
- Princesse.
Desdémone sursauta et essuya sans tarder ses larmes avant de se tourner. Un soldat de sa mère se trouvait devant elle, sans arme et se tenant à distance respectable de la fillette. Parmi les soldats, la rumeur disait que ce n'était pas la princesse en chair et en os mais une ombre qui lui était fidèle de par la ressemblance. Tout au plus, pour ce soldat, l'enfant qui se tenait devant lui n'était pas la princesse en personne mais une usurpatrice. Ils étaient si méfiants et pour ne rien arranger, son amnésie était à leurs yeux la preuve suffisante qu'elle n'était pas celle qu'elle prétendait être. Mais Clelia s'en était rassurée en lui posant des questions que seule Desdémone pouvait savoir, et donc avoir une réponse précise.
- Oui ?
- La... reine te demande, elle est dans la cale.
L'enfant de la paix hocha la tête et se leva de la proue lentement, engourdie par les longues heures à rester assise sans bouger. Elle dénoua ses muscles courbaturés alors que les soldats la regardaient à la volée, continuant leurs chuchotements, même quand elle passa devant eux pour rejoindre la cale.
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De Delphes toute puissante
Historical FictionGrèce antique. Les grandes cités de Grèce se disputent une cité en particulier, gouvernée de façon particulière : des femmes sont à la tête, puissantes et indépendantes, aimées et respectées par leur peuple, prêtresses et médecins, guerrières et str...