De Delphes toute puissante

Chapitre 103 : Talentueuse mortelle écervelée

- Debout !

Desdémone sursauta en entendant l'ordre lancé par Circé. Elle cligna plusieurs fois les yeux et remarqua qu'il faisait encore nuit noire dehors.

Elle attrapa à tâtons son himation et quitta sans protester la pièce où elle dormait, au milieu des autres nymphes. Elle se dirigea vers le corridor et tenta de rattraper la déesse qui marchait d'un pas vif. Elle constata qu'elles quittaient le palais pour rejoindre la forêt pour y cueillir les herbes nécessaires à la préparation de philtres, onguent ou sorts utilisés par la déesse et que Desdémone apprenait à ses côtés.

Il lui restait encore dix jours pour faire ses preuves mais elle peinait à trouver le moyen de rendre la véritable forme à un des porcelets. Jusqu'à maintenant, la jeune fille enchaînait échec cuisant sur échec cuisant, elle commençait à douter en ces capacités. Mais elle devait apprendre la magie si elle voulait descendre aux Enfers en toute sûreté, en déjouant les pièges des dieux. Circé était sa seule chance de pouvoir rejoindre sans craindre le pire le monde souterrain.

Desdémone regarda la lune d'Artémis qui serait bientôt à son plus haut point dans le ciel. La sève des plantes serait alors plus concentrée et les onguents ou philtres bien plus puissants. La jeune fille se souvenait que chez les prêtresses d'Hécate, l'on pensait que les diverses phases de la lune influaient sur la qualité des plantes cueillies ou des sorts jetés. L'idéal était la lune d'Hécate pour le faire.

- Il faut de la mandragore, les racines et la plante au-dessus, de l'armoise et du laurier, énuméra la déesse.

- Et le moly ?

- Je le cueillerai moi-même. Hâte-toi.

Desdémone savait où se trouvait ces plantes et récolta ce qu'elle lui avait demandé, déterrant d'abord la mandragore soigneusement sans altérer sa qualité puis se dirigea vers le laurier et prit l'armoise. Rapidement, elle revint auprès de la magicienne et la vit saisir délicatement les petites fleurs blanches qu'elle garda avec elle au lieu de les mettre dans le panier, avec les autres plantes.

- Quand pourrais-je étudier les propriétés du moly ? questionna Desdémone en la regardant faire.

- Tu aimes brûler les étapes, reprocha la déesse à la voix de mortelle. Quand tu auras rendu sa forme à un des porcelets, mais pas avant. Et n'oublie pas que si tu échoues, tu ne resteras pas ici une seconde de plus, peu m'importe si c'est l'hiver ou pas. Dix jours, Déiphobide, souviens-toi que c'est tout ce qu'il te reste pour faire tes preuves.

Desdémone frémit en sentant le regard transperçant de la déesse qui jugeait certainement de sa réaction et s'interdit en même temps de penser à l'échec. Elle cherchait encore le moyen pour y parvenir et travaillait pour cela d'arrache-pied, en dehors des leçons que Circé acceptait de lui inculquer, bien que trop rares. La déesse la traitait avec froideur, les nymphes également. La fille du Soleil était aussi froide que les fonds marins d'où venait sa mère, une Océanide. Elle ne se montrait chaleureuse et accueillante qu'à l'arrivée de marins qu'elle nourrissait quelques jours avant de les interroger sur leur motivation. Aucun n'échappait au sort que jetait Circé et ils rejoignaient aussitôt la porcherie. Desdémone redoutait ces moments où ses semblables arrivaient sur cette île, elle voulait les prévenir mais Circé lui interdisait d'entrer en contact avec eux et les nymphes la surveillaient attentivement. Entre temps, elle ne servait plus d'échanson mais on l'enfermait au gynécée, gardée par les félins et le faucon de la déesse. Et ensuite, il arrivait ce qu'il devait arriver, ils perdaient leur humanité pour devenir des porcelets.

La jeune fille resserra les pans de son himation sur elle alors qu'un vent froid la faisait frissonner, à moins que la cause ne soit l'horreur. De toute façon, elle n'avait d'autre choix que de percer le secret de la métamorphose et des connaissances de la déesse si elle voulait avoir la certitude de quitter en toute sûreté les Enfers quand elle y descendrait.