Chapitre 111 : Le baiser d'un fantôme

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Le chant familier à la lyre plongea Clelia dans des souvenirs lointains qui la rendirent nostalgiques. Plongée dans ces images de ce temps si ancien, elle joua avec les deux bracelets à son poignet, ceux sertis de la péridot et de l'aigue-marine. Elle reconnaissait la mélodie, les paroles qui étaient chantées. Jusqu'à maintenant, elle ne pensait plus jamais l'entendre, mais c'en était autrement aujourd'hui.

Elle laissa le papyrus qu'elle étudiait pour se concentrer sur la musique qui s'échappait de l'instrument de Sophia, belle et pure et murmura les paroles en même temps que la musicienne. Puis Sophia cessa, à son grand regret.

- La musique te déconcentre, mère ? demanda Sophia.

- Pas du tout, tu peux continuer. Où l'as-tu apprise ?

- C'est Euterpe, je l'ai entendu la dernière fois que je suis venue lui rendre visite et je suis en train d'enrichir la mélodie, elle est intéressante à travailler et avec un chœur de femmes qui accompagnent, elle donnerait une profondeur incroyable à cette musique !

Elle parlait avec enthousiasme de son idée, comme Éléos qui tentait en vain de lui inculquer quelques leçons du temps où il était encore là. Déjà, Clelia se sentit perdue quand Sophia chercha à son tour à développer les détails, comme à chaque fois qu'on tentait de lui expliquer les rudiments de la musique. Mais elle préférait l'écouter et ne pas comprendre davantage. Rien que le moment présent et rien d'autres.

- Ton père me jouait la même, l'arrêta-t-elle. Il me parlait aussi de cette idée d'agrément, mais je n'y ai jamais rien compris.

- On ne t'a jamais enseigné la musique ? s'étonna Sophia en posant sa lyre sur ses genoux.

- Mes précepteurs ont été patients et ont tenté de me faire apprendre ce qui leur paraissait être simple. Peut-être à cause de la frustration, je n'ai jamais voulu retoucher à un instrument. Puis ton père a essayé avec ce qu'il y avait de plus simple mais je n'y mettais pas vraiment du mien. Je préfère écouter plutôt que jouer.

- Pas même le chant ? s'étonna sa fille. Pourtant, la musique est appréciée et enseignée, c'est ce qui distingue une jeune fille noble d'une autre de basse condition. Pas même l'histoire ou les arts ?

- Je ne suis pas une sauvageonne non plus, j'ai reçu une solide éducation ! Je sais tisser et broder. D'ailleurs, les langes dans lesquelles vous avez été enveloppés à votre naissance tous les quatre ont été tissé par mes soins. Mais j'ai toujours préféré le grand air et le maniement des armes. La seule chose qui arrivait à capter mon attention était l'éloquence. J'ai eu un très bon précepteur qui m'a appris à m'exprimer et faire porter ma voix. Et c'est ton père qui m'a expliqué comment la façon de respirer influe sur la qualité du discours et qui cette fois-ci, n'a pas relâché ses efforts pour que je puisse y parvenir.

- Plus il y a de souffle dans les poumons, plus la voix porte loin et le discours est clair, récita la princesse en acquiesçant de la tête. On dit la même chose à un chanteur. La voix est une chose, mais ce qui fait que nous parlons et chantons est l'air que nous emmagasinons. D'ailleurs, la voix est un des instruments les plus durs à maîtriser, bien plus que la cithare !

- Il me disait que l'instrument qu'il aimait jouer était justement ma voix et comment il parvenait à en tirer une musique qu'il appréciait beaucoup, bien plus que la cithare. N'essaye pas de comprendre, ajouta Clelia en voyant les sourcils de Sophia se plisser parce qu'elle ne comprenait pas avant de rougir, gênée.

- Quand on t'a marié à lui, tu as été contrainte ou c'était de ton plein gré ?

Clelia se rendit compte que c'était la première fois qu'elle parlait ouvertement d'Éléos avec sa fille. D'habitude, elle changeait aussitôt de conversation dès qu'en on faisait mention. Elle avait toujours pris soin de ne jamais évoquer le nom de ses trois époux devant ses enfants, pour ne pas faire de différence entre eux et surtout pour éviter de repenser à ces moments terribles qu'elle avait traversé. Mais elle voyait l'intérêt et la curiosité de Sophia à comprendre qui était son père. Éléos était considéré comme un héros aux yeux de la population qui adorait son nom et celui de ses jumeaux. Et jusqu'à maintenant, tout ce qu'on avait raconté de leur père à Tharros et Sophia étaient les souvenirs de leur détestable grand-mère, Catarina qui adulait son fils disparu, d'Euterpe et des esclaves qui l'avaient connu.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant