De Delphes toute puissante

Chapitre 121 : Du mont Ida où serpente Scamandre

Le lit du fleuve, ancêtre des rois de Troie évoquèrent des souvenirs que la mémoire de Desdémone avait enfoui si profondément et qui jaillissait à présent comme l'eau d'une fontaine. Elle se rappelait de la rive légèrement boueuse sur laquelle sa mère l'entraînait au combat, après avoir soudoyé les gardes de la petite porte Est en leur donnant des bijoux, dont le paon en pierres précieuses.

Elle regarda les ruines de Troie, la cité qui l'avait vu naître. Son cœur se broya et saigna quand elle songea à tout ces moments qu'elle avait passé avec ses cousins, ses parents et le reste de sa famille. Des sorties dans la rue avec son père pour faire son tour de garde ou dans les temples avec sa mère pour prier les dieux.

La nature avait repris ses droits, le lierre grignotait ici et là la pierre de ses lianes et des buissons commençaient à couvrir les dégâts des grecs. Desdémone n'avait pas eu le courage de rentrer, du moins, pas maintenant. Ce serait trop dur, beaucoup plus qu'elle ne l'aurait cru.

Elle ferma ses yeux et effleura la dague de son père, se souvenant de l'ombre qu'elle avait vu aux Enfers et de cette silhouette qui marchait dans le palais d'un pas vif lorsqu'il était préoccupé, et tranquille quand ce n'était pas le cas.

Elle se détourna des ruines alors que sa poitrine lui faisait mal, au bord de la crise d'angoisse. Elle tira Chioné par la bride et remonta le fleuve pour voir la nymphe Strymo, comme le lui avait demandé son père aux Enfers. Il fallait pour cela remonter le Scamandre et se rendre sur le mont Ida qui surplombait la Troade. Là où on avait abandonné Pâris à sa naissance et qui était devenu berger. C'était aussi sur cette montage que certains de ses ancêtres avaient vu le jour.

Elle tendit l'oreille pour écouter les chants des oiseaux puis s'arrêta soudainement. Une branche venait de craquer alors que la région était désertée de toute vie humaine. Elle s'en était assurée pour être certaine que personne ne la retrouverait. Mais elle sentait qu'elle ne pourrait plus se cacher bien longtemps. On commençait à se douter qu'elle n'était plus une disparue maintenant qu'elle venait de ressurgir du jour en lendemain entre Ithaque et l'Égypte. Il lui faudrait revenir un jour ou l'autre, avant qu'un autre mercenaire comme cet Alexios de Sparte en Égypte qui aurait pu, de très peu, la ramener de force à Delphes sans qu'elle puisse accomplir quoi que ce soit.

Les sens en alerte, Desdémone prépara son arc et continua à guetter le moindre bruit anormal. Alors qu'elle observait avec attention les buissons, un nouveau flot d'images l'envahit. Elle se tétanisa quand elle revit sa fuite et les cris de Phobéra pour qu'elle grimpe un arbre et évite de mourir. Une fille de son âge faisait la même chose qu'elle, courant et pleurant en même temps pour sauver sa vie. Mais contrairement à Desdémone, elle ne savait pas grimper aux arbres. Contrairement à elle, cette fille s'essouffla si vite et peina à distancer les soldats. Tandis que Desdémone sauvait sa vie en sautant sur une branche pour aussitôt se hisser d'un seul mouvement souple, cette fille reçut une flèche enflammée dans le dos et hurla de douleur.

Sa main qui tentait de maintenir en place la flèche trembla et le bois s'entrechoqua avec celui de l'arc. Pourtant, elle se reprit quand il vit une silhouette qui approchait et que les feuilles des arbres bruissaient davantage. Elle raffermit sa prise sur son arc et le banda en direction du bruit, prête à viser si on la menaçait, si ce mercenaire avait retrouvé sa trace.

Une femme sortit de la végétation et sursauta en voyant cette arme pointée en sa direction. Elle avait des rides qui creusait son visage et la surprise la traversa puis succéda à la peur quand elle la vit. Desdémone tira un peu plus la corde de son arc, méfiante mais la femme leva les mains pour la rassurer.

- Tu ressembles trait pour trait à une reine que j'ai connu, commença-t-elle avec l'accent de la région. Clelia de Delphes, le nom te dit quelque chose ?