Chapitre 109 : La mort offerte sur un plateau d'argent

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Songeuse et perdue dans ses pensées, Clelia poussa un soupir avec toutes ces nouvelles qui lui arrivaient. La mort de Ménélas et la fuite d'Hélène vers Rhodes sur l'ordre du fils de son époux qui ne la supportait pas. Il y avait eu ensuite celle de Clytemnestre par ses enfants Oreste et Électre. Enfin, le retour plus qu'inattendu d'Ulysse sur sa rocailleuse île d'Ithaque, le massacre des prétendants et la pendaison par Télémaque des douze servantes de Pénélope qui avaient trahi la ruse de leur maîtresse qui tentait d'échapper aux futures noces.

Amère, Clelia regretta qu'Ulysse n'ait pas trouvé la mort au cours de son voyage. Elle le détestait de toute son âme. Savoir qu'il était vivant alors qu'il était la cause de bon nombre de ses malheurs lui était insupportable. Il était l'exécuteur d'Agamemnon, il faisait tout ce qu'il lui disait comme un gentil petit chien. Il avait voulu assiéger Delphes du temps où ses parents étaient encore de ce monde. Il avait eu l'idée de la marier à Déiphobe et après, ce fauteur de trouble était celui qui avait ordonné la construction de ce cheval de malheur, de la droguer à son insu et de tuer la famille de son époux, pour précipiter depuis les remparts Astyanax qui ne méritait pas sa fin et traîner en esclavage l'infortunée Hécube dont elle n'avait aucune nouvelle.

- Misérable, siffla-t-elle en broyant la feuille de papyrus qu'elle avait sous les yeux. Apollon que je vénère, rends-moi justice et tue-le le plus vite possible.

- De qui parles-tu ? interrogea Timia.

- Tu as dû entendre la nouvelle ? Ulysse a massacré les prétendants de son épouse ainsi que les pères venus demander justice et son fils a pendu les douze servantes qui ont trahi la ruse de Pénélope.

- Il a fait une entrée fracassante, si je puis me permettre, commenta l'intendante qui rangeait la chambre et préparait les vêtements pour la journée. Mon compagnon m'en a parlé, et tous le monde n'a plus que cette histoire en bouche. Le massacre de tous les prétendants de son épouse, et rien qu'avec l'aide de son porcher et de son fils. Et dire que depuis toutes ces années, on le pensait réellement mort !

- J'aurai aimé que ce soit le cas, qu'on ne le revoit plus jamais.

Clelia quitta le siège de sa coiffeuse et marcha jusqu'à la statuette en terre cuite d'Apollon. Elle prit une cruche de vin et répandit le liquide sur le petit autel. Elle tourna ses paumes vers le ciel et fixa le visage du dieu.

- Apollon iatromante, je te fais honneur depuis toujours, mes époux t'ont toujours respecté et mes enfants aussi. Je suis ta plus fidèle adoratrice. Je t'en supplie, réalise ma prière. Ramène sur tes terres ma fille saine et sauve au plus vite, guide-là jusqu'à moi. Je demande aussi à ce que tes flèches s'abattent sur Ulysse qui est responsable de la chute de Troie que tu protégeais. Éloigne ma fille Sophia de l'homme qui la mène doucement vers le monde souterrain et veille-la. Aies pitié de moi et exauce ma prière. Artémis ma divine mère, garde tes filles de tout danger et protège Desdémone de la fureur de la mer.

Elle continua à fixer la statue avant de s'en détourner pour laisser Timia l'habiller. Sa sœur de lait lui passa le chiton et fixa les fibules avant de lui proposer plusieurs himations qui s'accorderaient avec ce qu'elle venait de mettre. Clelia les repoussa d'un geste, sentant que cette journée serait chaude et suffocante.

Elle se laissa coiffer et regarda le reflet que son visage dans le miroir. Ses cheveux se parsemaient de jour en jour de fils clairs et une mèche blanche sur le devant de sa tête venait d'apparaître. Ses yeux étaient étirés par des rides qui eux aussi s'accentuaient. Depuis un moment, elle ne saignait plus, vivait au gré de ses sauts d'humeur et des bouffées de chaleur. Elle était désormais à l'hiver de sa vie. Elle ne savait encore si Atropos lui laisserait encore quelques années de vie, le temps qu'elle fasse la rencontre de ses petits-enfants ou si elle périrait demain. Mais ce qui était certain, c'est qu'elle s'éteindrait dans son lit et non pas au champ de bataille, comme elle l'avait affirmé un jour à Pistos, lorsqu'ils étaient enfants. Mais parfois, il lui arrivait d'imaginer ce qu'aurait été sa vie si Éléos ou Déiphobe étaient encore de ce monde et qu'ils vivaient dans ce palais.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant