Chapitre 95 : Une pensée pour ceux qui ne sont plus

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Un miaulement aigu tira Clelia de ses pensées. Pyrrhos, qu'elle avait toléré jusqu'à maintenant le temps de sa sieste sur ses genoux, s'éveilla et commença à prendre de la place en s'étirant. Clelia eut un sifflement réprobateur qui n'intimida pas pourtant le félin roux. Elle repoussa les documents sur lesquels elle travaillait depuis que le chat s'était assoupi sur elle et s'autorisa une pause. L'animal ronronna quand elle le gratta derrière l'oreille et s'amusa un peu de la réaction. Elle continua, encouragée et laissa aventurer sa main plus loin, sur le ventre. Elle redouta l'espace de quelques secondes qu'il ne la mette en garde en lui mordant la main mais il ne fit que redoubler de ronronnement. Puis finalement, il sauta de ses genoux, s'étira longuement et gratta à la porte. Clelia se leva pour lui ouvrir et eut la désagréable surprise de trouver devant elle son gendre. Elle avait tout sauf envie de lui parler ou même de le voir. Le tolérer était déjà un immense effort de sa part et elle prenait sur elle pour ne pas révéler le fond de sa pensée.

- Il se cachait ici, ce chenapan, remarqua Loïmos en voyant le chat s'agiter et s'enfuir juste après. Desdémone se demandait où il se trouvait.

- Je doute que tu sois venu pour chercher son chat, répondit-elle, plus sèche qu'elle ne l'aurait voulu.

- C'est vrai. Je voulais m'entretenir avec ma belle-mère, si cela ne la dérange pas dans son travail, bien évidemment, s'empressa-t-il d'ajouter avec cette amabilité qui lui avait coutumière.

Elle pinça les lèvres mais se résigna à le laisser entrer pour en finir au plus vite. Il attendit son invitation pour s'installer sur le siège en face d'elle alors qu'elle réinvestissait le sien. Il ne parut nullement intimidé par le visage hostile de sa belle-mère et garda son sourire. Pour un peu, elle admira presque cette assurance qu'avait son gendre au milieu de l'adversité. Il se débrouillait bien mieux qu'elle avec les thébains ou les troyens.

- Sophia m'a appris qu'elle doit se rendre au sud pour gérer une affaire en ton nom. Il m'a semblé bon de comprendre la raison, elle a été très évasive dans sa réponse, commença-t-il.

- Ce n'est pas ses habitudes d'être si évasive, et plus encore de cacher une mission qu'elle réalise en mon nom aux autres, releva la reine en plissant ses yeux. Une histoire de détrousseurs qui terrorisent les habitants dans le sud, près du port, et qui ont en plus l'impudence de prendre les sacs de blé. Les soldats sur place ont été incapables de mettre la main sur eux, je n'ai d'autre choix que d'envoyer ma fille faire le travail à leur place. Les loups serviront au moins à quelque chose dans tous ça, ce sera comme une chasse. Et si tu veux l'accompagner, fais comme bon te semble, j'ai donné mes ordres à mon héritière, et je sais qu'elle mettra un point d'honneur à me satisfaire.

- Après tout, si cette mission est confiée à l'héritière, n'en est-il pas autant pour son époux ? Je pourrais l'assister à sa tâche, même si l'on sait que la chasse coule dans ses veines et qu'elle saura se débrouiller.

- Je ne l'interdis pas, tu es libre de le suivre si le désir te prend. Je sais qu'une fois cette affaire réglée, elle restera au sud dans ma villa pour veiller aux lieux et aussi profiter de l'été autant que possible. L'attente sera longue jusqu'à son retour, prévint-elle.

- Alors je resterai, si tu n'y vois aucune objection. Le palais sera vide, avec Tharros qui part pour l'éphébie et Andrios à Thèbes. Je m'en voudrais de te laisser seule ici, ma chère mère.

Il avait beau être affable, elle ressentit son antipathie se renforcer à son égard. Certes, elle le croisait chaque jour, et c'était inévitable, mais ce sourire qu'il arborait chaque fois, ses manières trop prévenante et cet air toujours serein sur son visage l'empêchaient de l'apprécier. Plus encore, ses yeux vairons la déstabilisaient, il y avait quelque chose qui lui faisait ressentir et accroître cette antipathie qu'elle éprouvait. Elle ne comprenait pas ce que Sophia pouvait lui trouver à cet homme, et ses autres enfants, l'intendante et Euterpe étaient également de son avis. Aucun ne digérait encore ce qui s'était passé l'an dernier.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant