Chapitre 69 : Une ombre parmi les vivants

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Le jour se leva dans une atmosphère morbide, où la mort se trouvait à chaque recoin des rues. Il y avait par endroit les sanglots des femmes violées mais vivantes, qui allaient être réduites en esclavage. Quelques enfants, assez grands allaient eux aussi servir à cela.

Clelia avança jusqu'aux portes Scées, dépossédée d'elle-même. Elle avait dans ses mains la tête de Priam et le regard dans le vide. Arrivée en dehors de la cité désormais en ruine, presque entièrement privée de ses habitants, elle s'écroula et se laissa mener par ses sentiments qu'elle avait jusqu'à maintenant réussi à taire.

Elle pleura en premier Déiphobe. Puis tous les autres morts. Elle maudit chaque roi grec et elle aussi, pour s'être laissée duper. Mais elle dut se reprendre. Pistos approchait, suivie par Thysié qui pleurait, le visage contrit puis lui tendit sa main pour la relever.

- Toute mes condoléances pour ton époux  et pour ta famille, lui dit-il à son oreille. Tu n'es pas responsable, on t'a trompé.

Elle entendit à peine ses mots. Elle prit sa main et avança vers la tas de corps gardé par ses hommes. Deux autres portaient la dépouille décapitée de Priam et le posèrent sur le sable avec délicatesse, craignant le pire s'il avait le malheur de le jeter sans la moindre considération.

- Tu n'étais qu'une traîtresse, Clelia, cracha Agamemnon en la voyant faire. Tu as bien su te jouer de nous.

Elle ne lui prêta aucune attention. Elle regarda ses hommes qui amenaient les derniers corps épargnés de justesse par les flammes. Il ne restait plus rien de Troie, plus de vie. Les survivants étaient traînés par les autres soldats, ceux sous les ordres d'Agamemnon et des autres. Plus les minutes s'écoulaient et plus une colline de morts se dressait devant les remparts.

Deux hommes de Clelia revinrent du mont Ida avec le corps de Pâris et d'une femme que Thysié identifia comme étant Œnone, l'épouse répudiée du prince. Quelques gémissement s'élevèrent du côté des esclaves. Parmi les captifs, Clelia reconnut Polyxène, Cassandre, Hécube, Andromaque et Hélénos. Hélène était tenue à l'écart, étroitement surveillée par les soldats spartiates et plus encore par Ménélas. Elle semblait loin d'avoir peur comme Polyxène ou d'être en colère comme Hécube. Et elle éprouva encore moins de peine en voyant le corps de Pâris rejoindre les autres. Pour un peu, elle s'impatientait de quelque chose et n'hésitait pas à montrer son agacement en soupirant sans cesse.

- Mon roi.

Un soldat vint en traînant un garçon par la main. Le sang de Clelia arrêta de circuler dans ses veines et elle paniqua, de même pour Andromaque et Hécube. Astyanax tentait de se libérer comme il pouvait de l'emprise du soldat mais celui-ci le maintenait trop fermement pour faire quoi que ce soit. Mais il s'arrêta en reconnaissant ses tantes et plus loin, sa mère retenue comme captive. Mais Andromaque, au lieu de faire un geste ou dire un mot, se contint autant qu'elle pouvait, allant même se mordre la lèvre jusqu'au sang pour éviter de crier un mot pour son fils.

- Nous l'avons trouvé dans les écuries, caché. Il dit être personne mais je ne le crois pas.

-  Nous allons le savoir, répondit Agamemnon, un air mauvais.

Il marcha jusqu'à Andromaque et sans douceur, la saisit au visage avec tout le mépris qu'il avait et le tourna vers l'enfant qui essayait de se contenir. 

- Tu sais qui il est, n'est-ce pas ? Réponds et peut-être que je serai clément avec lui. C'est ton fils. Dis-le.

- Ce... ce n'est pas mon fils, débita-t-elle en parvenant à se dégager de son emprise.

Une première gifle l'envoya à terre. Dans un réflexe, Clelia fit un pas pour la protéger mais deux gardes vinrent la saisir fermement par les bras. Impuissante, la souveraine voyait Andromaque qui subissait les coups en silence, cherchant à protéger autant qu'elle le pouvait son fils. Mais au bout de la cinquième fois, une voix s'éleva.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant