Chapitre 86 : L'inconscience au milieu de la folie

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Les troupes formaient une longue file interminable qui cheminait à l'image de chenilles au printemps. Elle soulevait des nuages de poussière si haut dans le ciel que l'on ne pouvait voir ce qu'il se passait au loin. Et c'était avec le ventre tordu par l'angoisse qu'Andrios voyait son père et ses généraux se concerter sur la démarche à suivre. Il savait que la frontière entre la Béotie et la Phocide étaient si proches, ils reconnaissaient certains hameaux aperçus alors qu'il venait ici, deux ans plus tôt.

De la colline où il se tenait, il constatait en contrebas les tentes qui commençaient à être montées et les chariots de vivres rassemblés. Il suffisait de tourner la tête de l'autre côté pour voir les delphiens amassés devant leur propre campement. S'il le voulait, il pouvait descendre cette colline et se mettre sous la protection de sa mère. Jamais elle ne refuserait, et puis il était prince de Delphes, il demeurait une figure importante malgré la distance. L'envie ne lui manquait pas, et il désirait ardemment dévaler la colline pour rejoindre ce qu'il connaissait depuis sa tendre enfance. L'accent familier delphien et le palais cher à son cœur.

- D'après nos éclaireurs, la reine de Delphes n'est pas encore sur son campement, mais chez elle. À la place, elle a dépêché son cousin pour qu'il dirige l'armée. Elle a déployé le plus gros de son armée, et la plus compétente. À l'œil, les soldats semblent bien plus nombreux que le nôtres, évalua un des généraux.

- Elle ne demeurera plus pour longtemps dans son palais de malheur. Elle participe à chaque bataille, sans exception. Ou alors nous la forcerons à le quitter et elle viendra en personne, assura Hégémon avec un sourire cruel qui déplut fortement à Andrios. Nous commencerons les pillages dès maintenant. Elle sera bien obligée d'accepter mes conditions.

Andrios frémit en entendant cela. Malgré tout les efforts des conseillers de son père qui tremblaient à la seule idée de provoquer la reine sanglante sur ses propres territoires, Hégémon n'en avait pas tenu compte et il s'était obstiné. L'Eubée et l'Attique semblaient bien moindre à ses yeux, et puis il avait arguait qu'il venait réclamer la juste part de son fils prince de Delphes. Il n'avait cessé de provoquer Clelia par tous les moyens, dans l'espoir qu'elle commette un geste irréparable qui mènerait à cette guerre fratricide. Il ne reculait devant rien, et rien n'était assez bon pour y parvenir. Andrios se sentait pris dans un piège irréversible.

- Avec tous mon respect, mon roi, la reine ne semble nullement prête à accepter des conditions. Mais si elle venait à décider de mener l'assaut, nous en pâtirons, comme Antipater...

- Peu m'importe ce qu'elle fera, je sais qu'une seule chose l'empêchera d'agir, sauf si nous la bousculons un peu...

Andrios frémit quand il vit ce sourire désagréable que lui adressait son père et détourna sans tarder la tête, dégoûté par cet homme. Il le détestait plus que jamais pour ce qu'il osait faire. Tout cela à cause de cette rancune qu'il gardait pour sa mère et ce prétexte qu'il utilisait pour cette guerre. Il ressentait une violente révulsion pour lui, plus forte qu'à son arrivée à Thèbes. Son père était définitivement dément, ce n'était plus des racontars, mais des faits qui maintenant s'avéraient, et sous ses propres yeux.

Il s'éloigna pour mettre aussi rapidement possible entre son père qui lui donnait la nausée et lui. Il ne pouvait plus le supporter, il était arrivé à la limite de la tolérance, à un point de non-retour. Il le détestait pour l'avoir fait venir ici, pour avoir fait cette guerre alors qu'il était là et qu'il aurait très bien pu rester depuis tout ce temps à Delphes. Hégémon n'avait aucune parole, aucun honneur. Rien qu'une immonde ordure.

- Garde toutes tes pensées pour toi, mon garçon, il vaut mieux parfois se taire que commettre un geste irréparable. Surtout avec ton père qui perd de plus en plus la raison.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant