Le retour s'était fait dans le silence le plus total. Personne ne parlait ou alors refusait de le faire. Le couinement de la litière où était installée Thysié était insupportable. Mais plus encore l'idée de quitter Delphes et tout ce qu'il connaissait pour une cité dont il ne savait presque rien. Et chaque pas qui le rapprochait de Delphes s'apparentait pour lui à une marche vers la mort.
Il distingua déjà les remparts de Delphes. Sa gorge se noua douloureusement alors que ses mains blanchissaient autour de ses rênes. Il voulait hurler toute l'angoisse qu'il ressentait en lui, refuser aussi fort qu'il pouvait l'ordre de son géniteur. Mais tout restait bloquer dans sa gorge, incapable de sortir sa peur et son ressentiment. Il était au supplice.
La halte fut ordonnée et la litière s'immobilisa ainsi que les autres cavaliers. Andrios descendit avec raideur de sa monture avant de s'avancer vers son demi-frère en train de boire sa outre. Quand il finit, Tharros la lui tendit et étira son corps engourdi.
- L'orage va bientôt arriver, remarqua son frère en levant la tête au ciel. Il fait terriblement humide, c'est suffoquant. Il faut rentrer rapidement si on veut l'éviter.
- J'espère au contraire qu'on sera bloqué et qu'on n'atteindra pas la cité avant demain, répliqua aussitôt Andrios. Je ne veux pas vous quitter maintenant...
- Moi non plus. Peut-être que les hérauts se sont lassés d'attendre et qu'ils sont partis.
Andrios secoua vigoureusement la tête, sachant pertinemment que les hérauts de son père pourraient patienter des années et même se dessécher pour lui, ils seraient tout de même là. Il vivait un cauchemar éveillé, d'autant plus qu'il avait appris de la bouche d'un marchand le remariage de son père et le dessein qu'il avait d'avoir un autre fils pour en faire son héritier. Si tel était le désir d'Hégémon, alors pourquoi le contredire à quitter Delphes où il avait grandi ? De plus, lors de leur première rencontre, Andrios avait clairement ressenti le dédain du thébain à son égard. Il ne comprenait pas cet obstination à le faire venir là-bas. Il était perdu et ne savait plus sur quel pied danser.
- Je pense que je vais enfin lui dire, lâcha soudainement Tharros.
- Que le prince d'Ithaque te plaît ? Mère n'apprécie pas son père, et si tu continues à le fixer désespérément comme tu le fais à chaque banquet, je crois qu'elle t'enfermera dans tes appartements...
- Mais non idiot, je l'ai oublié ! Mais j'ai maintenant la certitude que les filles ne m'attirent pas et ne m'attireront jamais.
- Pourtant, tu ne traînais pas avec cette fille de pêcheur ? Elle a dit fièrement que le prince a passé une nuit avec elle, et Sophia me l'a même confirmé. C'était agréable ?
- Ces idiotes, pesta entre ses dents Tharros. Au moins, ça fait une expérience et je suis sûr. Ça l'a été, je ne dirai pas le contraire, mais je sais que ce n'est pas une fille que je tirerai plus de plaisir. Voilà tout.
La tête blanche d'Argô apparut sans prévenir devant Andrios. D'abord surpris, il laissa sa main se perdre entre ses oreilles alors qu'il recevait des coups de langue de la bête, se comportant comme un chien par moment.
- Tu vas vraiment me manquer, ma belle, murmura-t-il à son oreille.
La louve poussa un grognement avant de s'installer sur les jambes du jeune homme, lui coupant momentanément le souffle, surpris par son poids. Il n'en fallut pas plus pour qu'elle s'endorme sur lui, sans réagir aux protestations de son lit de chair.
- À elle aussi tu vas lui manquer, dit Sophia en approchant, son autre loup sur ses traces. Comme à moi.
Il soupira, plus abattu que jamais par l'idée de s'en aller et de laisser ses frères et sœurs ainsi que tout ce qu'il avait connu jusqu'à maintenant. Il regrettait déjà le prochain séjour à la villa qui se ferait sans lui. Et puis aussi toutes les autres cérémonies auxquelles il assistait en tant que prince de Delphes. Dans quelques jours à peine, il ne serait plus que présenter sous son autre titre, potentiel héritier de Thèbes, dans le cas où un demi-frère naîtrait.
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De Delphes toute puissante
Historical FictionGrèce antique. Les grandes cités de Grèce se disputent une cité en particulier, gouvernée de façon particulière : des femmes sont à la tête, puissantes et indépendantes, aimées et respectées par leur peuple, prêtresses et médecins, guerrières et str...