Chapitre 53 : Des visages amis et aimés

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Desdémone regarda avec fascination le bel étalon blanc de son père. Leucippe trottait fièrement dans l'enclos, dirigé avec fermeté par son cavalier. Elle admira l'animal et son père, tout simplement majestueux. Elle aussi désirait la magnifique monture, mais malheureusement, son père refusait. Il arguait que monter à cheval n'était pas le devoir d'une princesse, qu'elle ferait mieux de rester au gynécée, avec ses tantes et sa grand-mère pour apprendre le tissage. Il ne l'autorisait qu'à caresser Leucippe, et parfois le nourrir. Mais la petite fille en voulait plus.

- Je rêve d'avoir un cheval comme lui, confia la princesse à Ascagne.

- Tu tomberas aussitôt de son dos et tu te feras piétiner, idiote. Tu es si petite qu'on ne te remarquera même pas.

Mécontente, elle le pinça aussi fort qu'elle put, plantant au passage ses ongles afin d'obtenir un cri de douleur. Quand elle l'eut, elle s'éloigna de la barrière et rejoignit l'écurie, les larmes aux yeux. Elle trouvait tout simplement injuste qu'on lui interdise les activités de ses cousins. Eux, ses oncles et son père répétaient sans cesse qu'une princesse aussi importante qu'elle, l'enfant de la paix, ne devait pas pratiquer le maniement des armes. À la place, tous, y compris Lara qu'elle aimait presque autant que sa mère, lui assénaient que son devoir était d'apporter la paix et de se marier. Seule sa mère la assurait du contraire. Elle lui avait promis qu'elle lui apprendrait à dresser et monter un cheval et à tirer à l'arc aussi bien que son oncle Pâris sous peu, tout en faisant d'elle une fille respectable.

Malgré les promesses de sa mère, elle n'avait rien encore appris de tout cela. Elle voyait bien qu'elle-même peinait à accéder à une simple lance. Pour la consoler, Clelia lui avait dit qu'à Delphes, elle apprendrait tout cela, et sans recevoir la moindre critique de quiconque. Pourtant, ce n'était pas dans la cité de sa mère qu'elle voulait apprendre tout cela, elle voulait le faire à Troie, sa cité à elle. Malgré toute la curiosité qu'elle éprouvait à propos de Delphes, c'était ici, à Troie qu'elle se sentait chez elle. Les habitants la saluaient toujours avec respect et ils l'aimaient beaucoup. Et puis même si ses cousins l'agaçaient, elle les appréciait beaucoup. Elle ne savait ce qu'il en adviendrait si elle rencontrait ses demi-frères et sa demi-sœur là-bas.

Le soir, elle entendait à côté de sa chambre les vives discussions entre ses parents, allant même jusqu'à la dispute. Elle ne saisissait pas tout mais Desdémone savait qu'il était question d'elle. Sa mère défendait ses intérêts quand son père s'y opposait catégoriquement. Elle ne comprenait pas son refus, plusieurs fois, il lui avait dit qu'il l'aimait, qu'elle était sa princesse, la seule qui comptait à ses yeux.

Desdémone s'arrêta près d'une botte de foin dans l'écurie et essuya ses larmes. Elle regarda les alentours afin d'être sûre qu'aucun palefrenier ne la verrait ainsi pleurer. Elle renifla bruyamment avant de s'approcher d'une belle jument baie attachée à un anneau. Elle mâchait son foin avec application avant de regarder la petite fille. La grosse tête se pencha jusqu'au sol. Desdémone sourit à l'animal et s'approcha, confiante. Elle caressa le velours de ses naseaux avant de suivre la ligne blanche qui parcourait sa tête et de toucher ses oreilles. L'animal réagit et releva légèrement sa tête pour s'extraire de ses doigts trop curieux. Desdémone se mit à rire avant d'enfuir sa tête dans la crinière rêche de la jument. Elle adorait cette odeur d'avoine et cette drôle de sensation contre sa joue.

- Que tu es belle, souffla-t-elle dans le crin. Tu dois être aussi rapide que Leucippe.

Elle s'écarte un peu de la jument. Comme réponse, celle-ci agita sa tête, comme si elle était d'accord avec ses propos. Le sourire de Desdémone s'étira jusqu'à ses oreilles, heureuse d'être enfin comprise.

- Pousse-toi d'ici, sale gamine.

Elle sursauta et se tourna vers la voix. Un palefrenier approcha et la poussa sans ménagement de la jument. Il fut si brusque qu'elle tomba au sol. À nouveau, les larmes piquèrent ses yeux. Elle vit entre le brouillard la jument emmenée ailleurs. Elle aurait pu s'indigner d'être ainsi traitée, elle, la princesse de Troie et de Delphes, la fille de souverains et l'enfant de la paix. Mais elle ne dit rien et se tut. Sa tête se baissa puis elle se releva. Au final, peut-être que sa mère avait raison, elle serait bien mieux à Delphes où elle pourrait faire ce qu'elle voulait. Mais elle ne voulait pas partir.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant