Chapitre 113 : Le dard de la raie

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Pour une fois depuis toute l'hiver, Hélios sembla vouloir survoler l'île de sa magicienne de fille et les nuages qu'elle laissait planer pour se protéger de son omniprésence n'étaient plus là. Les timides rayons effleurèrent la peau de la déesse et des nymphes qui commençaient à se dévêtir. Desdémone en fit de même et retira son chiton, attacha ses cheveux en un chignon suffisamment serré pour éviter qu'ils ne soient happés au cours de l'expédition puis frotta sa peau jusqu'à ce qu'elle rougisse, frigorifiée par la brise encore hivernale qui soufflait.

Les nymphes ne riaient pas pour une fois, un silence mortuaire avait envahi la plage. Elles fixèrent la mer qui paraissait à la fois grise et bleue, peu rassurées. Circé aussi ne disait rien, elle terminait de retirer ses boucles d'oreilles qu'elle confia à une dryade puis s'avança vers l'écume qui ornait le sable blanc et les naïades et quelques dryades la suivirent, avec un frémissement qui trahi leur peur.

Desdémone ne pouvait que les comprendre. Elles allaient chercher la raie et son aiguillon mortelle pour faire cette lance. Télégonos, au cours de l'hiver, avait enfin atteint ses quinze ans, le philtre préparé par sa mère avait fonctionné. Les réparations du Triton étaient finies, il fallait rejoindre Ithaque désormais. Malgré la confiance qu'elle plaçait en son élève, Circé redoutait le pire pour son fils, et à juste titre. Poséidon était un dieu puissant, presque autant que son dernier frère Zeus maître du ciel. Circé pouvait le menacer, le maudire, mais l'idée qu'elle avait trouvé était meilleur puisqu'étant la hantise des immortels ; le venin d'une raie ancienne, plus vieille que ses aïeux qui se reposait dans les fonds marins. Il était réputé pour tuer sur le coup un homme bien portant, même avec une infime quantité, et faire souffrir de la plus horrible des façons un dieu, jusqu'à vouloir mourir pour que la douleur cesse.

Avec le dard, elle en ferait une lance que Télégonos pourrait utiliser en cas de problème ou de menace. Et avec cette lance, aucun dieu pourvu de mauvaises attentions ne prendrait le risque de souffrir mille morts. Mais cette chasse était la plus dangereuse jamais entreprise, les nymphes qui savaient bien nager l'accompagnaient pour l'aider, mais elles craignaient que leur peau ne soit égratignée et que Thanatos ne les cueille trop rapidement.

Avant de les rejoindre, Desdémone prit sa lance et imprégna la pointe d'un puissant calmant pour la raie lorsqu'elles la trouveraient. Elle enroula autour de son bras un filet et rejoignit le bord de l'eau. Un long frisson la saisit et sa peau se couvrit de petits boutons. Elle serra les dents pour ne pas les faire claquer et entra doucement, le temps que son corps s'habitue à la température presque glaciale à son goût.

Circé s'enfonça doucement dans les profondeurs marines et les nymphes la suivaient. Puis sa chevelure noire disparut. Desdémone ne chercha à pas à la suivre à tout prix, elle continua, s'aspergeant la nuque et les épaules de l'eau saline puis elle prit autant d'air qu'elle pouvait et immergea sa tête. Un tremblement s'empara d'elle, choquée par la froideur de l'eau quand elle toucha sa tête et vint alourdir ses cheveux. Elle remonta aussitôt pour reprendre en catastrophe de l'air et battit des jambes un long moment avant de se décider à rejoindre l'étrange cortège.

Le sel lui piqua les yeux quand elle les ouvrit sous l'eau mais elle ignora ce détail et les trouva. À mesure qu'elle s'enfonçait, l'eau devenait plus froide qu'à la surface et elle avait l'impression que sa tête allait exploser. Pourtant, Circé lui avait assuré qu'elle ne se noierait pas et qu'elle reviendrait vivante. Elle lui avait même fait boire un philtre pour être sûre qu'elle tiendrait longtemps, malgré le sang d'Océan qui coulait dans ses veines.

Desdémone, sans prétention, savait qu'elle était une bonne nageuse. Lorsque Sophia allait à la rivière en été, avant qu'elle ne se marie, elle la battait à la course de longueur. Non pas que sa demi-sœur ne sache pas nager, mais elle tenait moins longtemps sa respiration sous l'eau, elle se fatiguait presque aussitôt. Malgré tout, la jeune femme ne se reposait pas sur ses capacités qu'elle savait meilleure, elle voulait rester prudente et ne pas finir sa vie aussi rapidement.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant