Chapitre 94 : Béni des dieux

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Avant d'entrer dans la salle de conseil, Andrios s'arrêta devant les portes closes et inspira longuement puis les poussa. Les conseillers se levèrent comme un seul homme et s'inclinèrent devant lui. À côté, installée sur un siège confortable, la reine de Delphes les imita et le salua en inclinant sa tête. Andrios fit un geste de la main pour les autoriser à s'asseoir avant de prendre place à son tour et les regarda chacun. Il voyait la question muette sur toute les lèvres : que faisait la reine de Delphes ici. Il se souvenait parfaitement de ce qu'il avait entendu dans la chambre du défunt roi, de la crainte qu'il vende Thèbes à Delphes et sa reine puisqu'il demeurait prince de son autre cité. Mais il les avait convoqué pour une toute autre chose dont il n'avait volontairement rien dit.

- J'espère, reine de Delphes, que tu es bien installée chez moi et que tu n'as aucune plainte à formuler de ce séjour.

- J'apprécie ta sollicitude, roi de Thèbes. Ce séjour est bien meilleur que celui qui m'a été fait dix-sept ans plus tôt. Toutefois, je suis quelque peu surprise d'être convoquée, je doute que ma place soit ici.

- C'est normal, il y a une affaire que nous devrions régler entre nos deux cités, et quoi de mieux que des témoins pour assister à ces discussions. Ce n'est un secret pour personne ici, mon prédécesseur a complètement dépouillé la salle du trésor à cause de ses dépenses. De plus, il s'avère que celui-ci te versait chaque mois un tribut, en compensation de cette répudiation à Troie. Très confortable tribut, d'après la somme que tu reçois.

Il vit les lèvres de Clelia se pincer alors qu'elle focalisait maintenant et entièrement son attention sur lui. Elle devait sentir le piège qui venait à grand pas, elle était rompue à ces négociations mais lui tâtonnait encore. Il avait peur en se confrontant directement devant elle et avec des témoins de perdre la face. Il devait acquérir le respect maintenant, ou ce serait perdu d'avance. Il craignait d'avoir voulu faire les choses trop vite et de ne pas avoir la force de parlementer avec elle. La femme en face de lui n'était plus sa mère, mais la puissante reine de Delphes, crainte par ses voisins et maîtresse de la manipulation.

- Il n'y a rien de plus humiliant pour une femme que d'être répudiée avec pour motif l'infertilité alors que j'ai mis au monde quatre enfants. J'ai exigé une compensation financière pour l'alliance qu'il a brisé et le désagrément qu'il m'a causé, il est vrai, et c'est moi qui ait fixé la somme, répondit-elle d'un ton sec. Mais faut-il rappeler les dommages que sa guerre a causé sur mes propres terres ? J'étais prête à ne pas engager de conflit armé et de temporiser autant qu'il fallait pour qu'il évite cette terrible erreur. Visiblement, trop de bonté est pris ici pour de la faiblesse. J'ai proposé un compromis raisonnable ; je cessais de percevoir le tribut et lui devrait me dédommager les dégâts sur mes terres. Il a refusé, il n'a eu que ce qu'il méritait.

- J'entends ta colère, ma reine, nous te savons préoccuper avant tout par ton peuple. Mais vois-tu, je le suis tout autant que toi. La mort de mon prédécesseur ne permet pas de savoir si tu cesses de le recevoir, il n'a laissé aucune instruction à ce propos, et te proposer à la place de ce tribut cette alliance qui a été rompue dans des circonstances très désagréables me semble plus raisonnable. Je songe au bien-être de mon peuple.

Il sentit le mouvement que firent quelques conseillers surpris mais il ne les regarda pas. Il continua de centrer son attention sur la reine en face de lui qui le transperçait de son regard, une expression neutre au visage. Il se doutait que maintenant, ce serait la partie la plus dure et la plus éprouvante, tenter de garder la face et faire entendre sa voix. Il le fallait. C'était son règne qui se jouait maintenant.

- J'imagine que tu as déjà une idée des termes de cette alliance. Je t'en prie, parle.

- Je te propose de nous allier militairement et de décréter la paix et l'amitié entre nos deux cités. Je sais quel tort on a pu te faire et je ne voudrais pas que nos relations futures soient entachées par des problèmes en tout genre. De plus, Thèbes est le voisin le plus proche de Delphes. J'entends le fait qu'il ne faut pas te provoquer, mais c'est la même chose pour nous ici. Nous sommes deux régions puissantes, tu en conviens.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant