Chapitre 77 : L'hiver se pare de noir

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Les flancs alezans d'Oxypous s'élevaient et s'abaissaient avec lenteur. Le souffle qui s'échappait de ses naseaux sifflait. Il sentait dans sa crinière la main de sa cavalière et sur son encolure sa tête, couchée à même la paille de la stalle, indifférente à la poussière, auprès de lui. Il voulut hennir pour la rassurer, mais il n'en avait plus la force. Sa tête retomba lourdement sur la paille alors qu'il tentait de la redresser. Aussitôt, Clelia, s'en approcha et il vit son visage ravagé par la tristesse.

- Tu as été mon plus fidèle compagnon, celui qui ne m'a jamais laissé seule, murmura-t-elle entre ses larmes. Tu as permis tant de chose, et je t'en serai toujours reconnaissante. Merci pour tout, Oxypous, tu m'as honoré de ta fidélité.

Il parvint à hennir, mais faiblement. La tête de Clelia s'enfouit dans le crin alezan, se laissant aller aux larmes. Elle percevait l'immense effort que nécessitait chaque respiration et pour abréger ses souffrances, elle avait fait le choix d'empoisonner son eau plutôt que faire appel à un soldat pour l'achever. Elle n'en aurait pas eu le courage de laisser cette tâche à une autre personne qui ferait plus de mal que nécessaire. Elle avait veillé à choisir quelque chose de rapide et le moins douloureux possible. Et malgré cela, elle avait le cœur en miette, perdant son compagnon de longue date, celui avec qui elle avait tout vécu.

Un dernier souffle et tout s'arrêta. Clelia resta encore près de lui, se refusant à faire appel à un palefrenier pour brûler la dépouille. Elle les avait chassé des environs pour rester le plus longtemps possible avec lui, ainsi que lui faire ses adieux. Elle pouvait au moins s'estimait heureuse de l'avoir eu à ses côtés aussi longtemps. Oxypous avait vécu près de trois décennies, un exploit en ces temps troublés, malgré la guerre et les maladies. Depuis peu, il s'était considérablement affaibli et Clelia ne l'avait plus monté depuis son retour de Troie, mais elle lui rendait visite autant qu'elle pouvait et le promenait au licol. Mais il boitait et aucune guérison n'était possible, le faisant atrocement souffrir. La mort dans l'âme, Clelia avait dû se résigner à utiliser une plante empoisonneuse.

Elle se releva en regardant encore un dernière fois son étalon reposant sur la paille. Elle quitta la stalle sans se retourner puis les écuries. Les palefreniers osèrent enfin entrer pour sortir la dépouille du cheval et procéder à la crémation en dehors de la cité, comme ils en avaient l'habitude de le faire.

Clelia essuya ses yeux de son himation et s'approcha de la piste où une pouliche blanche trottait, malgré la neige, entourée d'une foule. Devenue le nouveau divertissement des éphèbes et des esclaves, elle avait droit à des spectateurs, déjà réputée pour son caractère indomptable et la façon qu'elle avait de malmener sa dresseuse.

Clelia avait fait présent comme demander quelques mois plus tôt à Desdémone, et cette dernière s'échinait à la monter, en vain. La pouliche blanche baptisée Chioné n'était pas coopérative malgré tout les efforts et la patience de Desdémone.

Elle voyait sa fille au milieu de la piste, tenant le licol et la faisant trotter. La gracieuse pouliche se montrait pour une fois moins farouche que d'habitude. Mais quiconque essayant de la monter se retrouvait aussitôt impitoyablement jeter au sol et l'animal continuait à trotter, agitant sa tête et sa crinière vers ses admirateurs, en une invitation implicite. Malgré tout, Desdémone ne lâchait rien et persistait, comme Chioné. Aucune des deux ne semblaient prêtes à abandonner et étaient plus têtues qu'une mule.

Clelia s'approcha doucement, observant sa fille claquée la langue ou ordonner de ralentir l'allure. La pouliche se laissait faire, raccourcissant ses foulées comme demander. En la voyant faire, Clelia repensa à ses propres difficultés quand elle avait dressé Oxypous avant d'acquérir son respect et son affection. Elle revoyait aussi sur la piste Déiphobe qui faisait trotter sa propre monture, altier et beau comme un dieu. Même sur le champ de bataille, il avait une prestance qu'elle lui enviait ainsi que de magnifiques chevaux que même elle, en tant que reine elle n'avait pas et qu'elle devait faire venir à grand frais, par le passé. On disait alors que Troie était la meilleure cité en chevaux. En plus du commerce, elle avait constitué leur richesse et les princes avaient même des montures d'origine divine. C'est ce que Déiphobe lui avait dit un jour, quand elle admirait son étalon. Et aujourd'hui, Desdémone voulait poursuivre cette réputation que tenait sa cité de naissance, et aussi prouver qu'elle serait meilleure dresseuse que son père. Elle voulait être meilleure que lui. Cette idée l'obsédait.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant