Chapitre 49 : Qui aime bien châtie bien

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Le vin. Une boisson si prisée et presque autant vénérée que son dieu, Dionysos. Pas assez dilué, et l'on perdait assurément tous souvenirs mais les problèmes étaient oubliés pour un temps. Et quand on se réveillait avec ce mal de crâne lancinant, soit on se trouvait dans un lieu inconnu et improbable, comme un temple d'Hestia, à ronfler comme un porc, ou alors dans le lit de quelqu'un, d'une personne qu'on déteste plus que tout.

Combien de fois lui est-il arrivé ? Quand avec sa cousine, Pistos avalait les amphores de vin, sous les cris des soldats en repos et des habitués des tavernes et qu'il finissait dans ces endroits improbables, fuit par ses souvenirs.

Qu'aurait-il donné pour perdre sa lucidité ! Ces dernières années étaient les pires de sa vie. Ils enchaînaient les catastrophes depuis le début de ce règne. D'abord cette déroute qu'ils avaient subi en combattant Antipater, le problème de succession et la mort d'Éléos qui avait tout bouleversé. Même s'il ne le portait pas dans son cœur, Pistos aurait milles fois préféré voir le blond auprès de sa cousine plutôt que ballotée d'un mari à un autre. Tout cela à cause de ces têtes de linottes d'Hélène et de Pâris ! Plus idiots qu'eux, Pistos n'avait pas le souvenir d'en avoir rencontré !

Pistos se souvenait des enseignements des nombreux précepteurs de sa cousine. Il assistait lui aussi aux cours de ses esprits éclairés et avait eu la chance de bénéficier de la même éducation qu'elle. Parmi eux, comment remplir son rôle de souverain. À eux deux, on leur avait dit que la cité passait avant toute autre chose. On naissait pour sa cité, on vivait pour sa cité, et enfin on mourrait pour sa cité. L'abandonner était le plus grand des déshonneurs, seul le sang pouvait l'effacer. Quand on en devenait son souverain, sa vie n'avait plus aucune importance, on la dédiait aux dieux protecteurs et à son peuple. La chair qui naissait ensuite n'appartenait plus à ses parents, mais à son peuple.

Plus jeune, Clelia avait su dissocier ses nombreux rôles avec beaucoup de maturité, Pistos en avait eu plus de mal. Il avait toujours admiré le sang-froid de sa cousine, son éloquence et sa capacité à fédérer les hommes à sa cause. En s'effaçant pour son peuple, elle avait su se faire aimer et obéir, malgré la répugnance qu'elle avait à l'époque du pouvoir.

D'autres puissants, aveuglés et assoiffés par celui-ci, n'auraient pensés qu'à eux et pas aux autres. Mais Clelia n'était pas ainsi. Elle souffrait pour son peuple et ses soldats en silence, elle effaçait ses émotions pour gouverner et se donnait les limites pour ne pas tomber dans la tyrannie. Jusqu'à maintenant, toute la vie de sa cousine tournait autour de ces principes qu'elle avait appris au prix de nombreuses larmes, plus claires que de l'eau et plus sombres que du sang. Que l'on soit fait pour régner dans la lumière, comme un roi, ou murmurer dans l'ombre, comme une reine. Comme l'avait fait Terpsis, du temps où son époux était encore en vie.

Clelia ne vivait que pour cela et elle se serait très certainement tuée si elle avait le malheur de manquer à son devoir. Mais Hélène n'en avait que faire de ses devoirs. Ce qui était pour la fille de Terpsis un sacrilège pour sa cité, ne l'était pas pour la fille de Léda. Et c'est à cause d'elle que les soldats delphiens se trouvaient si loin de leur foyer, de leur père qu'ils ne verraient probablement pas vieillir, et de leurs enfants qu'ils ne verraient ni naître et encore moins grandir. Parce qu'elle avait manqué à son devoir de reine, piétiner sans hésitation par l'Amour, des millions de pères, de fils et d'époux étaient là, sous ses remparts, depuis trois ans maintenant. Parce qu'Hélène, dans son égoïsme, avait fui sans songer aux conséquences.

Le vin dans la coupe d'or reflétait son visage. Il était émacié depuis qu'il était ici, à patauger dans la boue. Tout était de la faute d'Hélène. Une véritable bécasse sans cervelle et aveuglée par l'amour de son berger. Il priait les dieux pour qu'elle connaisse les pires châtiments pour payer les pertes humaines. Où il y avait de la beauté, la mort était proche.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant