Le vin se répandit devant l'autel en libation alors que les murmures s'élevaient dans l'air. Déiphobe posa la cruche et tourna ses paumes vers le ciel pour commencer sa prière.
- Ô grand Scamandre, protecteur des rois de Troie et de la cité, toi qui veille sur nous depuis tes flots paisibles, entends la prière d'un enfant de ton sang. Comme tu étends ta protection sur nos soldats, étends-là jusqu'à ma fille, ta descendante. Fais-la parvenir jusqu'aux terres sacrées d'Artémis, protège-la des grecs et de leur folie meurtrière. Fais-la vivre aussi longtemps que possible et donne-moi l'occasion de la revoir quand cette guerre cessera. À toi aussi, Strymo, je te supplie de la garder vivante et de la préserver du danger. Je suis prêt à offrir ma vie s'il faut qu'elle vive. Entendez-moi.
Il finit sa prière. Avant de partir, il s'inclina devant l'autel et malgré lui, sursauta quand il vit Thysié, nonchalamment appuyée contre une colonnade du petit temple familiale. Elle avait un sourire moqueur aux lèvres avant qu'elle ne s'avance jusqu'à lui, les yeux plissés, malicieuse. Elle aplatit une mèche de cheveux rebelles avant puis lui prit familièrement son bras pour marcher, la tête posée contre son épaule.
- Quand tu étais enfant, contrairement à Hector, Hélénos ou Laocoon, il fallait te traîner de force dans un temple. Et lors des cérémonies religieuses, en public, tu boudais. Père et mère ont toujours tenté de te raisonner, et même parfois par la force, mais tu restais têtu. C'est notre grand-mère qui a pu réussir à te faire changer d'avis. Je me suis toujours demandée ce qu'elle avait bien pu te dire pour que le lendemain, tu te mettes à courir vers le premier temple qui se trouvait ici.
- Strymo a toujours su trouver les bons mots pour nous raisonner. Comme cette fois où t'étais mise à pleurer à cause d'une remontrance. Tu as couru pour la voir et tu es restée près d'elle jusqu'à très tard le soir. Puis tu es revenue et on t'a revu avec un sourire.
- Il me tarde de la revoir, soupira Thysié. Cela fait si longtemps que nous sommes ici, à attendre le bon vouloir des grecs.
- Moi aussi, et Desdémone aussi, à Delphes...
Quand il vit le coin de ses lèvres se distordre en un sourire amusée et ses sourcils se lever, comme pour remettre en cause ce qu'il disait. Elle lâcha son bras et s'assit sur un banc de pierre, toujours avec cet air d'amusement.
- Je ne crois pas que les terres d'Artémis se trouvent en Phocide. Je doute qu'Apollon accepterait de partager son fief avec sa jumelle. Par contre, si c'est des terres Amazones dont tu parles, tout s'explique. Après tout, ton épouse est l'une des leurs, non ? Ma nièce est entre de bonnes mains. Ton épouse prit sans relâche Artémis.
Il s'immobilisa alors que sa sœur s'esclaffait en voyant sa réaction. Sans qu'il puisse dire quoi que ce soit, elle l'attrapa vivement par la main et l'obligea à s'asseoir, sans calmer pour autant son hilarité.
- Tu écoutes aux portes, Thysié...
- Tu vas t'en remettre, rit-elle. Tu sais que tu ne pourras jamais me cacher tout tes petits secrets, je te connais mieux qu'Hector. Je m'en doutais un peu, depuis que tu es revenu sur ta décision. En soit, je pense que ce n'est pas une si mauvaise chose que tu aies pour épouse une femme comme la tienne. Elle te correspond parfaitement. Et sans ajouter que plus têtus que vous deux, il n'en existe pas !
Le rire de Thysié s'emporta dans le vent alors que son frère se renfrognait.
- Je ne dirais pas la vérité à quiconque, tu peux me faire confiance sur ça, le rassura-t-emle avec un clin d'oeil. Je sais tenir ma langue, grand frère.
Son sourire acheva de le détendre. Sa gaité était si communicative que la boule qui se nouait dans son ventre disparut enfin. Cette sensation ne le quittait plus depuis le départ de sa fille. Et depuis ce jour, un étrange calme régnait dans le palais. Même Ascagne et Astyanax ne parvenaient à mettre autant de bruit que leur cousine.
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De Delphes toute puissante
Historical FictionGrèce antique. Les grandes cités de Grèce se disputent une cité en particulier, gouvernée de façon particulière : des femmes sont à la tête, puissantes et indépendantes, aimées et respectées par leur peuple, prêtresses et médecins, guerrières et str...