Chapitre 78 : Derniers enseignements

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Malgré ses sifflements, les loups n'apparurent toujours pas. Sophia fronça les sourcils, arpentant à grand pas les corridors, à la recherche d'Argô et Sidéro. Mais elle n'aperçut aucune réponse de ses loups. Ils devaient certainement se trouver près d'un brasero, comme ils aimaient faire en cette saison pour dormir, notamment Argô qui somnolait toujours et qui était peu active, comme à chaque fois. Elle reprit sa recherche et poussa au hasard une porte.

Sophia vit sur un lit le pelage blanc de sa louve, roulée en boule avant de remarquer qu'elle se trouvait dans la chambre de sa grand-mère, sans même lui avoir demandé sa permission. Encore heureux que ce ne soit qu'elle, si elle s'était aventurée dans la salle du conseil, en pleine séance, elle aurait eu le reproche de sa vie. Entre sa mère et sa grand-mère, elle savait qu'aucune d'elle n'accepterait une telle inattention de sa part.

- Navrée de te déranger, grand-mère, fit Sophia avec un petit soupir contrit. Je ne vais pas m'attarder, je m'en vais...

- Non, reste, j'ai à te parler. Tes loups et le chat de ta sœur habitent ma chambre maintenant, ils ne me quittent plus depuis quelques jours.

Sophia scruta les traits de son aïeule. Bien que la mort d'Aédone remontait à l'année dernière, Terpsis ne s'était toujours pas remise de cette perte. Déjà très affaiblie, ces derniers mois ne rassuraient personne. Elle ne mangeait plus, restait enfermer dans ses appartements et limitait ses visites. Parfois, elle pouvait fixer des heures un point dans le vide, perdue dans ses pensées, et quand ces moments arrivaient devant sa famille, personne n'osait la déranger.

Quand elle la voyait ainsi, Sophia avait du mal à imaginer qu'elle se trouvait face à la femme qui l'avait élevé en l'absence de sa mère, celle qui lui avait tout enseigné sur la politique et la guerre. La glorieuse petite-fille d'Eupsychia s'était éteinte il y a un an, au même moment où la personne qu'elle aimait le plus rejoignait les Enfers. Il n'y avait plus que son ombre désormais, une ombre qui lui broyait le cœur chaque fois qu'elle l'apercevait. Mais elle se forçait à penser à autre chose et faisait son possible pour se rendre la plus agréable possible. Personne ne le disait tout haut, mais tous se doutait qu'un jour prochain, elle rendrait son souffle à son tour.

Terpsis l'invita à s'asseoir sur son lit, là où reposait Argô et Pyrrhos sur elle, le chat de sa sœur. Étrangement, les deux animaux étaient inséparables et dormaient autant que possible ensemble, alors que les deux princesses étaient toujours rivales.

- On aurait dit un œuf, fit remarquer la jeune fille en montrant sa louve et le chat roux.

- Ils ont su s'apprécier. J'espère qu'un jour, il en sera de même pour vous deux, ajouta l'ancienne reine. Que vous cessiez cette rivalité qui vous empoisonne et devenez des alliées, pour soutenir votre frère. Tu es trop intelligente et maligne pour gaspiller ton talent à la tourmenter. Tu dois aussi cesser de douter en permanence de toi, ou tu ne t'en sortiras jamais...

- Pourquoi me dis-tu ça ? souffla-t-elle en la fixant.

Sa grand-mère s'avança et prit place près d'elle. Sophia se rendit soudainement compte qu'elle paraissait si fragile, si vulnérable alors qu'elle avait toujours eu l'image d'une femme forte qui pouvait à elle seule terrifiée assez d'hommes d'un simple sourire. La glorieuse reine qui était son modèle et son mentor. Elle ne voulait pas reconnaître malgré ce qu'il se murmurait que la fin était proche. Elle avait encore trop besoin d'elle.

- Tu approches l'âge du mariage et tu deviendras dans quelques années la deuxième personne la plus importante de Delphes, après ton frère. Ton peu d'assurance en toi pourrait t'être fatale, tes ennemis sont là où tu ne les soupçonnes pas. Ils peuvent te mettre en danger. Et par extension, également au souverain que est sur le trône par ton entremise. Tes ennemis ne se trouvent pas en Desdémone, elle doit être le contraire, ton alliée et ton soutien le plus fidèle. Tu as milles talents en toi, ma fille, milles talents que tu gâches à être jalouse de tout et de rien. Sois là pour ta mère, pour tes frères et ta sœur. Continue à briller comme tu le fais et ne laisse pas les autres t'atteindre. M'entends-tu ?

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant