Chapitre 98 : Âme de noirceur

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Au pas de course, Tharros quitta la grande salle. Il craignit l'espace d'une seconde qu'on ne devine ce qu'il voulait faire. Mais l'agitation dans la salle lui était profitable, personne ne lui prêterait attention. Il entendait déjà les ordres de Sophia aux esclaves d'affamer les chiens et ses loups. Il l'avait vu aussi s'approcher d'Hélène pour lui arracher un morceau d'étoffe de son himation. La chasse s'organisait déjà et tous s'y joindraient. 

Il savait que son action pourrait le mettre dans une situation qui lui serait défavorable en tant que prince. Mais les visages de tous les convives lui revinrent en tête et il frémit malgré lui. Tant de haine en chacun, et diriger contre cette femme. Il en avait lui aussi, pour ne pas avoir connu sa mère plus tôt, pour avoir attendu dix longues années son retour, oscillant entre la colère de ne pas l'avoir à ses côtés et la peur qu'elle meure les armes à la main, sans l'avoir connu. Mais cette colère n'avait pas atteint le même degré que celle de Desdémone, Thysié, Andromaque ou Clelia. Il avait vu quelque chose qui lui avait glacé le sang, qui lui faisait craindre le pire. Il n'était pas serein.

Dans l'agitation et la tension ambiante, personne ne remarqua qu'il partit. Il se dirigea jusqu'à sa chambre pour récupérer ses affaires. Son linothorax se trouvait à sa caserne, ainsi que ses autres armes. Il n'avait pris que son arc, sa chlamyde et sa besace en venant ici.

Rapidement, il se saisit des objets dont il avait besoin et retira son chiton de soie pour en mettre en autre en laine fine. Il délaissa ses sandales pour éviter que la semelle ne claque contre le sol. Il progressa jusqu'à l'infirmerie où il chercha quelques herbes médicinales en cas d'accident et guetta les cuisines, attentif à un éclat de voix qui pourrait appartenir à Timia.

Certes il l'aimait et elle l'avait élevé en l'absence de sa mère, mais elle le connaissait suffisamment pour deviner ce que Tharros pouvait avoir derrière la tête, et ce, rien qu'en le regardant. Il devait l'éviter à tout prix, elle faisait également partie des femmes qui en voulaient à Hélène, et elle serait capable d'appeler les gardes pour le retenir dans ses appartements et permettre à la chasse de traquer Hélène. D'autant plus que des cuisines, Timia avait un bon poste d'observation qui s'étandait de la cour du palais aux écuries. Rien n'échappait à son œil vigilant et elle savait tout ce qu'il se passait au palais avant tout le monde.

Il dépassa légèrement sa tête à la recherche d'une chevelure de feu. Il ne trouva rien et put passer sans problème les cuisines. Il n'avait plus de retour en arrière possible, il savait qu'il risquait beaucoup en faisant une telle chose, mais il était convaincu que s'il laissait la vengeance s'accomplir, les conséquences seraient encore plus terribles. Son instinct lui criait cela.

Son sang cognait fort contre ses tempes, de peur que des gardes ne le voient. Mais étrangement, ils ne semblaient pas là et commettaient en même temps une grave erreur. Lors de réceptions comme celle-ci, le nombre de gardes était doublé, la reine n'avait pas confiance en ses invités et elle préférait les savoir surveiller attentivement. Si Tharros tombait sur l'un d'eux, il se verrait mal leur expliquait ce qu'il comptait faire en agissant avec autant de discrétion et de prudence, même s'il pouvait prétendre qu'il devait regagner sa caserne rapidement. C'était son excuse, et celle-ci était vraie.

Il déboucha enfin dans les écuries. Il n'y avait pas un palefrenier dans les environs. Il se dirigea jusqu'à son cheval pour le préparer tout en guettant l'arrivée d'Hélène et Ménélas.

Il ne se rendit pas compte qu'il avait du mal à respirer et que ses mains étaient moites. Ce qu'il s'apprêtait à faire était de la haute trahison. D'abord envers sa reine, et ensuite envers sa mère. Il allait aider la femme qui aurait pu les rendre tous quatre orphelins de leur mère à tout moment, la femme qui à elle seule pouvait presque se targuer d'avoir fait tomber une cité entière, réputée alors comme imprenable, avoir mené à la mort de grands guerriers qui auraient pu connaître de prestigieux exploits si la dernière des Moires n'avait coupé le fil de leur vie. Mais maintenant, cette plus belle femme du monde se retrouvait avec la haine de tous en ce monde. Sophia et Andrios la détestaient pour l'avoir privé d'une véritable présence maternelle, malgré l'amour Terpsis. Desdémone voulait qu'elle paie pour avoir guidé les meurtriers de son père jusqu'à sa chambre et décimé sa famille. Comment avec toute cette haine la reine de Sparte pouvait-elle dormir sans crainte ?

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant