Déiphobe regarda ses sœurs qui dansaient, se réjouissant toutes de la fin de la guerre. La musique résonnait tout autour de lui, pour fêter la victoire de Troie sur les grecs. La cité était en liesse et tous le vin précieusement gardé coulait désormais à flot, même chez les plus pauvres.
Mais pourtant, il n'arrivait pas à se détendre comme lui enjoignaient ses sœurs, son frère et ses parents. Il restait tendu, sur ses gardes, surveillant du coin de l'œil ce grec attrapé ce matin par ses hommes. Il le regarda se goinfrer de tous les mets se trouvant à sa portée et absorber autant de vin qu'il le pouvait.
Même quelques heures après la découverte de la plage désertée et de ce cheval, il ne parvenait toujours pas à se faire une raison. Certes, les grecs étaient partis, comme l'affirmait ce soldat, mais il ne parvenait toujours pas à croire que Clelia était finalement partie, et aussi rapidement. Certes, sa tête était mise à prix mais il était prêt à défendre sa cause et révéler à la cité son importance, malgré sa fuite. Et maintenant, il ne lui restait plus rien. Cette victoire avait un goût amère en bouche, il avait tant perdu. Sa fille, son épouse, sa sœur, ses frères.
Il se détourna de ce spectacle qui le dégoûtait et marcha jusqu'à Andromaque, le regard perdu dans le vide, pâle. Pourtant, elle réagit en le voyant approcher et se décala un peu pour lui laisser s'installer près d'elle.
- Je sais que c'est dur pour toi, commença Déiphobe. J'aurai moi aussi aimé voir Hector fêter cette victoire avec nous. Mais au moins, nous ne sommes plus assiégés. Tu verras devenir Astyanax roi, et il fera honneur à son père.
- Hector ne méritait pas de mourir, souffla sa veuve, il ne tuait pas par plaisir, il faisait son devoir. Il était la seule famille qui me restait depuis la mort de mes frères et de mon père.
- Je sais. Sache que tu as mon soutien et qu'en sa mémoire, je prendrai soin de ton fils. Il deviendra un grand roi, j'en suis certain.
Elle ne répondit rien et laissa à nouveau son regard fixé sur un point qu'il ne voyait pas. Il préféra s'en aller discrètement, regardant parmi les danseurs Polyxène et Créuse qui riaient. Elles s'étaient maquillées pour la première fois depuis dix ans, osant enfin les couleurs chatoyantes sur leurs joues, l'or appliquée sur les paupières et la bouche peinte en rouge.
En les voyant aussi heureuses, malgré lui, il chercha du regard Clelia et Desdémone. Sa fille aurait eu huit ans si elle se trouvait encore ici et il aurait pu lui remettre ce collier qu'il avait fait pour elle. Il lui aurait fait découvrir le mont Ida comme elle le voulait tant. Elle aurait dansé la victoire et il aurait pu l'admirer, imaginant aussi Clelia ici, assise dans son coin, un sourire euphorique aux lèvres. Mais ça, il ne le verrait jamais. C'était le dur tribut de la guerre, comme lui avait dit son père en voyant sa morosité.
Il goûta son vin pour lui permettre d'accélérer un peu cette soirée et oublier son amertume. Il prit place sur un siège, adossé au mur et regarda ses sœurs dansées. Il perdait son temps ici, il aurait dû seller son cheval et essayer de se mettre à la recherche de Clelia et Thysié au lieu de laisser cette tâche à un soldat. Il connaissait assez bien la région, il avait la certitude que les navires grecs étaient cachés quelque part, dans une crique. Et il connaissait assez bien son épouse pour savoir qu'elle ne partirait pas aussi rapidement, même si sa cité lui manquait.
Il fit signe à un esclave de lui remplir sa coupe vidée alors qu'Hélène venait jusqu'à lui, un étrange sourire aux lèvres. Déiphobe se serait passé de sa présence qu'il ne supportait plus. Il la fuyait et résistait encore à l'envie de la ligoter et de la lancer dans la mer pour la noyer, ou alors la défigurer pour lui ôter sa beauté meurtrière, ayant coûter la vie de ses frères.
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De Delphes toute puissante
Ficción históricaGrèce antique. Les grandes cités de Grèce se disputent une cité en particulier, gouvernée de façon particulière : des femmes sont à la tête, puissantes et indépendantes, aimées et respectées par leur peuple, prêtresses et médecins, guerrières et str...