De Delphes toute puissante

Chapitre 62 : Des promesses déjà mortes

- Zeus a bien voulu m'entendre, dit Thétis, debout face à son fils. Je n'ai pas eu de difficultés pour venir jusqu'à lui et j'ai pris ses genoux pour qu'il exauce ma prière. Et aujourd'hui, c'est chose faite.

- Infiniment merci, mère, tu me rends justice.

Un sourire se dessina sur les joues blanches de la Néréide. Elle s'approcha d'Achille et enveloppa sa grande main blanche sur son visage avant de lui embrasser le front doucement, comme si elle craignait de le briser.

- Rien n'est trop beau ou trop grand pour toi, mon fils. J'agis pour que tu vives, Achille, personne ne mérite que tu meurs ici. Tu trouveras la gloire ailleurs, pas à Troie...

Le visage d'Achille se ferma et il s'éloigna d'elle. Thétis referma sa main et la laissa comme suspendue dans l'air, un long moment. La tristesse se dessina sur la fille de Néré. Elle resta immobile, en proie à la douleur.

- Nous en avons déjà parlé, c'est la gloire que je veux, pas une vie misérable comme celle de mon père. Peu m'importe si je dois mourir jeune...

- Tu ne comprends pas ! s'écria-t-elle soudainement, d'une voix pleine de détresse. Oui, on t'a promis la gloire, on t'a dit que tu surpasseras ton propre père en grandeur et en exploits mais je n'accepterai pas de voir mon fils mourir pour cette femme. Écoute ta mère qui a été réduite à épouser un mortel parce que Zeus a eu trop peur de perdre son trône. Si tu le désires, tu pourrais être plus puissant que lui, tu peux demander tout ce que tu veux, le monde est à tes pieds. Cesse de bouder comme un enfant pour ta captive. Laisse la gloire de la guerre de côté. Laisse tes fils ou tes petits-fils honorer cette prédiction, mais je t'en conjure, vis. Tu es ma plus grande fierté, tu représentes tous ce qu'on m'a pris. Crois-tu que j'ai sagement accepté ton père dans mon lit ? Non, Pélée m'a forcé, et si on ne m'avait pas dit que le fils qui naîtrait de cette union serait le plus grand des héros, plus grand encore que Persée ou Héraclès, tu ne serais pas là. Ne veux-tu pas vieillir auprès de Déidamie et de Pyrrhos et voir les exploits de ton fils ?

- Non, mère ! C'est toi qui ne comprends pas ! Je ne veux pas vieillir en sachant que tout ce qu'on m'a promis ne me sera pas destiné ! Peu m'importe si je dois mourir maintenant ou demain, je veux cette vie brève mais intense plutôt que longue et ennuyeuse. Pourquoi te lamenter pour moi ? Il vaut mieux un fils au nom glorieux plutôt que mort sans avoir rien accompli. C'est en héros que je mourrais, et auprès de Patrocle, ajouta-t-il en lui faisant enfin face.

Malgré sa peau déjà blanche, Thétis devint presque aussi pâle que l'écume qui ornait la barbe de son père. Tous ses efforts qui lui avait pris tant de temps périssaient en une seule seconde. Un glapissement s'échappa de ses lèvres alors qu'elle posait contre sa poitrine sa main, d'un geste théâtral, dans l'espoir qu'il pourrait raviser Achille.

- C'est à cause de Patrocle que tu mourras, le prévint-elle en crachant presque. Tu es tous ce que tu me rattaches à ce monde, tu es mon orgueil. Achille, je t'en conjure, au nom de tous les sacrifices que j'ai pu faire pour toi, il n'est pas encore trop tard...

Le guerrier poussa un soupir avant qu'il ne s'assoie sur un siège, las. Il avait entendu ces avertissements des millions de fois, dans l'espoir qu'il change d'avis. Mais tous les efforts de sa mère échouaient et il restait ferme dans sa décision.

- J'ai été entraîné par Chiron en personne pour que je devienne un aussi bon guerrier que mon père. Lui aussi a vu mon destin mais il ne m'a jamais dissuadé, de même pour mon père. Tu pourras me parler autant que tu veux, je ne te ferai pas plaisir. Merci d'être venue et d'avoir convaincue Zeus, mère. Au revoir, conclut-il.

Profondément blessée, Thétis ne réagit pas immédiatement. Elle vit son fils gagner la sortie. Elle resta un moment immobile avant de se tourner et de quitter la tente. Mais elle avait encore une dernière chose à lui dire.