Chapitre 128 : Le nombril du monde

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La séance du conseil de guerre était devenue un duel verbal où tous s'insultaient copieusement. Les conseillers insultaient les généraux qui leur rendaient au centuple. Mais maintenant, tous regardaient les deux princesses qui étaient opposées autant à l'autre bout de la table que dans leurs idées très tranchées, élevant la voix pour se faire entendre.

En tant que chanteuse, Sophia savait la moduler et elle était celle qui parlait le plus fort, de manière très rude, perdant mot après mot son calme pour se laisser son agacement et sa fureur apparaître, malgré elle. Quand à Desdémone, elle n'avait pas eu cette même tempérance que son aînée et le débat l'avait emporté, elle s'exprimait jusqu'à n'en plus avoir d'air et devoir s'arrêter pour le reprendre.

- De la folie pure, du suicide collectif ! tonna Sophia, son regard durcit et presque terrifiant. Juste parce que tu n'as pas su répondre aux attaques d'Oreste, il faut que tu obliges une cité entière à faire la guerre ? Alors que nous sommes affaiblis, surpeuplés et au bord de la crise ? Réfléchis, idiote et cesse de penser à ce qu'il t'a fait !

- Qui te permet de me parler comme ça ? Oreste mérite de recevoir la raclée de sa vie, il nous insulte en prenant nos terres et nos nefs, et à présent, il a l'audace de nous adresser une déclaration de guerre ! Nous sommes au bout de nos ressources, si nous nous faisons assiéger, il suffirait d'à peine quelques assauts pour nous faire asservir ! Après tout, il a refusé un compromis, il a rejeté le héraut qui lui a été envoyé, il a persisté à nous insulter. Rendons-lui la réponse qu'il mérite, par les armes.

- Et quand nous essuierons une défaite cuisante parce que l'armée de Mycènes a plus d'avantage que nous, qui ira pleurer parce que nous avons perdu et que la guerre soutenue est un échec ? Donnons un ultimatum, une expédition punitive suffisamment violente pour les remettre à leur place. Nous n'épuiseront pas nos ressources et Mycènes comprenda que nous ne sommes pas faibles.

- Une expédition punitive est une guerre, releva Desdémone. C'est la même chose.

Si la table ne les séparait pas, elles se seraient chacune jeter l'une sur l'autre. D'abord d'un même camp quand Desdémone devait répondre de ses actes, elles étaient maintenant de farouches adversaires. Sophia refusait pour de nombreuses raisons la guerre et contre toute attente, elle avait reçu du soutien de bon nombre de personne qui représentait beaucoup. Desdémone était pour la guerre, pour punir Mycènes et elle aussi avait du soutien de beaucoup. Leurs tensions grandissaient et leur débat devenait de plus en plus houleux. Si elles le pouvaient, elles se disputeraient les armes à la main pour se faire entendre et trancher une bonne fois pour toute.

- Finissons-en avec cette situation, trancha Tharros. Nous allons bientôt finir par avoir faim à cause des privations, l'été approche et la saison de navigation sera ouverte dans peu de temps. De même, le sanctuaire sera aussi réouvert et on viendra pour consulter la Pythie. Si ce problème n'est pas réglé au plus vite, il sera aisé à Oreste de nous piéger en introduisant des soldats dans notre cité. Que devons-nous décider ?

- Les négociations ! La guerre !

Sophia et Desdémone se regardèrent, avec haine. Les poings de la plus jeune se serrèrent tandis que l'aînée lui rendit un avertissement du regard. L'apaisement fut signifié quand, pour la première fois depuis le début de la séance, la reine leva sa main. Elle n'osait plus parler parce qu'elle craignait que le moindre de ses mots soient interprétés selon le bon vouloir de ses conseillers et ne se retournent contre elle. Elle se contentait d'assister au conseil, écoutait et prenait les décisions seulement lorsqu'elle était seule et certaine qu'on ne l'entendrait pas. Elle n'avait plus aucune confiance en eux et eux s'en rendaient bien compte et en avaient peur aussi. Par conséquent, ils se faisaient protéger par leur cher prince Loïmos qui ne cessait de défendre leur cause et prenait leur défense en dépit de la souveraine légitime qui voyait peu à peu son pouvoir s'effritait, la faisant rager de son impuissance à régler le problème sans provoquer la guerre civile. Les princes et ses intimes savaient que pour la première fois de sa vie, Clelia de Delphes maudissait le nom de son ancêtre Onchos qui était celui qui avait permis à ces timides rebelles d'obtenir les pouvoirs qu'ils détenaient à présent.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant