Le pas allègre et gracieux, Chioné avança sur le sentier qui menait jusqu'à Cyzique où le massacre avait eu lieu. Sur son dos, sa cavalière somnolait, épuisée par sa nuit de cauchamar qui l'avait tenu éveillé. Malgré tout, Desdémone luttait pour continuer à maintenir ce rythme pour arriver au plus vite chez les Amazones et accomplir une de ses tâches qu'elle s'imposait, celle de tuer Hécube qui ravageait les terres.
Elle entrouvrit un œil et vit le cerf aux bois d'or qui caracolait près d'elle depuis le départ de Troie. Ce même cerf qui l'avait conduite jusqu'aux terres sacrées d'Artémis, après le massacre. Elle se souvenait d'une femme particulièrement grande, avec des yeux d'argent semblables à ceux d'Eupsychia qui lui avaient procuré une morsure glaciale quand pour la première fois elle les avait vu. Pourtant, cette femme ne lui avait jamais rien fait de mal et au contraire, la veillait la nuit, lui apportait des fruits et du petit gibier qu'elle préparait spécialement pour elle. Pour éviter que le froid de la nuit l'empêche de dormir, cette femme l'invitait à se blottir contre elle et le cerf venait se joindre à elles. Desdémone dormait alors, sa tête posée sur le pelage doux de l'animal qui ne bougeait pas jusqu'à l'aube. Brièvement, ce compagnon avait gagné le nom de Chrysocéros et il était devenu une monture lui l'évitant de se fatiguer jusqu'à l'arrivée chez les Amazones. Puis après cela, elle ne l'avait plus jamais revu, jusqu'à maintenant.
Ces autres souvenirs qui remontaient furent étonnamment moins traumatisant que le massacre de Cyzique qu'elle revivait encore et toujours en cauchemar. Les images les plus sanglantes lui remontèrent davantage quand elle reconnut les abords de la ville portuaire ravagée et sans vie.
Elle descendit de selle et marcha. Comme lorsqu'elle s'était trouvée à Troie, elle fut envahie par la tristesse des lieux, les hurlements du vent qui apportait ceux des malheureux. Elle revit Phobéra paniquée et qui courait en lui tenant la main pour fuir les soldats armés et juchés sur leurs chevaux. Desdémone avait connu ce jour-là et pour la première fois la peur viscérale qui poussait à courir jusqu'à n'en plus avoir de souffle mais aussi la mort si proche qui la guettait.
Sa poitrine lui fit mal et elle crut que son cœur allait exploser. Ses jambes se paralysaient par la terreur qu'elle revivait à l'instant même. Mais elle se força à avancer. Elle se cramponna aux rênes de sa jument qui marchait derrière elle et regarda la cerf qui les guidait de son pas altier. Les autres souvenirs enfouis par le traumatisme ressurgirent et se jetèrent sur elle avec une telle violence que le souffle de la jeune femme mourut dans sa gorge. La voix lointaine de Phobéra qui lui ordonnait de courir sans jamais s'arrêter la fit sursauter. Elle lui avait obéi, comme l'avaient demandé ses parents. Elle avait couru loin et vite, jusqu'à cracher ses poumons s'il le fallait. S'écorcher les pieds jusqu'au sang pour sauver sa peau.
Elle pressa le népenthès mêlé à la lavande contre son nez et aspira les effluves puissantes. Le mélange mit temporairement en sourdine ses angoisses et elle put avancer. Ses réflexes de survie et ses sens sensibles la faisaient sursauter au moindre bruissement. Elle avait l'impression d'être aux aboies, livrée une fois encore à des ennemis qui allaient lui faire pire que du mal.
Elle s'arrêta quand elle constata que les oiseaux ne chantaient plus. Elle tendit l'oreille et cessa de respirer pour mieux se concentrer. Au loin, les sabots de chevaux faisaient trembler la terre. Il y avait des chiens qui hurlaient. Comme quelques années auparavant, Desdémone se tétanisa d'horreur. Pourtant, une voix lui hurla de s'enfuir pour sauver sa vie. Le cerf avait déjà détalé vers la forêt avoisinante. Elle décida de le suivre.
Elle tira désespérément sur la bride de Chioné pour qu'elle la suive tout en courant derrière le cervidé. Elle ne pouvait monter sa jument sans risquer qu'on la remarque. De plus, elle aurait trop de mal à la manœuvrer sur le dos, il fallait qu'elle marche à ses côtés.
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De Delphes toute puissante
Historická literaturaGrèce antique. Les grandes cités de Grèce se disputent une cité en particulier, gouvernée de façon particulière : des femmes sont à la tête, puissantes et indépendantes, aimées et respectées par leur peuple, prêtresses et médecins, guerrières et str...