Chapitre 33 : La sagesse et la hardiesse

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Deux ans s'étaient écoulés depuis le couronnement. Le peuple adorait ses souverains et aucun esprit de révolte n'effleurait la cité. Delphes connaissait la prospérité, grâce à leur nouvelle reine qui se démenait officieusement pour le bien des habitants. Elle avait obtenu la paix des Amazones, avec l'appuie de la vieille Despina et des autres femmes qui craignaient cet amour de la guerre trop fort chez Penthésilée. Mais l'Amazone s'était assagie, écrasée par la présence de la régente et des visites discrètes  de Terpsis qu'elle craignait plus encore.

- Ma reine, serait-il possible de lever plus haut la tête ? pria le sculpteur. C'est parfait, tu as un port de tête royal, ce buste sera le meilleur de toute ma carrière et il fait honneur à ta beauté.

Clelia regarda l'homme qui capturait ses traits dans l'argile. En deux ans, elle avait fait plus de chose que n'importe quel souverain. Et l'appuie d'Éléos lui était d'une grande aide. C'est elle qui proposait les lois dans l'ombre, mais lui qui les présentait au conseil. Les arguments de son époux avaient plus de poids que les siens, et elle en jouait. Le conseil pensait que sa grossesse l'écarterait un temps de la politique, mais c'était faux. La jeune reine s'en occupait encore, de jour comme de nuit.

- Elle a bougé ! s'écria Clelia en sentant le coup donné par l'enfant.

Elle posa aussitôt sa main sur son ventre rebondi. Elle ne sentit plus aucun mouvement mais elle savait que c'était pour mieux recommencer. Éléos la regardait avec un sourire de pur bonheur, le dieux étaient avec eux, ils étaient chanceux.

-  Clelia, mon roi, votre présence est requise par le conseil, dit d'une petite voix Timia en entrant de la salle. C'est urgent, même les généraux sont là, dans la salle du trône.

Ils se regardèrent, un instant déconcerté. Le conseil prenait rarement la décision de se réunir sans l'accord des souverains. Seul un cas d'extrême urgence les forçait à agir ainsi. Clelia ne tergiversa pas davantage et se leva de son siège, non sans quelques difficultés. Elle approchait le terme de sa grossesse et son ventre prenait une place considérable.

Elle rejoignit les corridors au pas de course, suivie par Éléos et Timia. La reine ouvrit les grandes portes d'un mouvement. Les personnes présentes s'inclinèrent devant les souverains qui rejoignaient leurs trônes respectifs. Celui de Clelia, en bois recouvert de feuilles d'or, était moins pompeux et imposant que celui de son époux, mais il prouvait aux invités qu'elle avait sa place dans la politique.

Dans la salle, elle vit une jeune fille blonde se tenir tête baissée et se faire toute petite dans un coin de la salle. Elle remarqua Pistos à ses côtés, comme s'il veillait sur elle. Plus les minutes passaient et plus elle sentait que quelque chose de grave venait d'arriver. Il ne restait qu'à savoir de quoi il s'agissait.

- Mon roi, ma reine, cette jeune fille a quelque chose à dire, commença Héliodore.

Pistos tira gentillement par la main la blonde qui hésitait. Elle semblait paniquée et inquiète. Pour la première fois, Clelia vit que cette fille d'à peine quinze ans avait été violemment battue, la lèvre fendue et les nombreux ecchymoses sur son visage en étaient un triste témoignage.

- Tu n'as pas à avoir peur, la rassura-t-elle d'une voix douce. Dis-moi ton nom et d'où tu viens.

- An... Anthea, ma reine. Je viens d'une famille de pêcheurs.

Tous les regards braqués sur la blonde l'effraya et il sembla à Clelia que des larmes coulaient le long de ses joues. La reine se leva et descendit les quelques marches pour la rejoindre. D'un signe de la tête, elle demanda à Timia de lui apporter un siège. D'un geste doux mais ferme, elle releva le visage tuméfié. Elle rencontra d'abord le regard d'une bête effrayée et aux aboies avant d'y lire toute la détresse que ressentait Anthea.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant