Chapitre 115 : La main armée guidée des dieux

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Le vent porta Le Triton sur l'eau, aidé par les coups de rames des marins qui ne faisaient aucun son depuis plusieurs jours. Desdémone courait de tout part sur le pont en évitant Télégonos qui cherchait des explications et qui la suivait là où elle allait depuis quelques jours. Elle hésitait encore à faire usage d'un sort pour qu'il se taise et la laisse en paix avec ses questions.

- Desdémone, je veux savoir la vérité ! s'écria-t-il soudainement. Pourquoi avons-nous fui ?

La jeune femme cessa ce qu'elle faisait et le regarda, les traits durcis et la mâchoire contractée. Mais Télégonos n'en démordit pas et encra ses yeux dans les siens, en attente d'une réponse. D'emblée, elle sut qu'elle ne pourrait plus lui cacher longtemps qui elle était réellement. Jusqu'à maintenant, elle avait résisté parce qu'elle ne voulait pas qu'il en sache trop sur elle. Mais il était en colère et surtout déçu qu'elle lui dissimule certaines choses alors qu'il avait pleinement confiance en elle. Il ne la laisserait pas tranquille tant qu'il ne saurait pas pourquoi ils étaient partis soudainement.

- Je t'ai dit que je suis troyenne de mon père et delphienne de ma mère, je n'ai pas menti. Ce que je n'ai pas voulu que tu saches, c'est que je suis la fille de la reine Clelia de Delphes et du prince Déiphobe de Troie. Ce qui fait que je suis deux fois princesse de ces cités. L'homme que tu as rencontré dans la taverne, le blond, c'est mon frère. Du moins, mon demi-frère. Ma mère a fait trois mariages, Tharros est issu avec sa jumelle Sophia du premier. J'ai un autre frère, Andrios, qui règne sur Thèbes. Et du troisième, je suis née. Nous sommes partis parce qu'en quittant la cité de ma mère, je n'ai pas dit où j'allais et je suis recherchée...

- Tu es une exilée ? la coupa Télégonos en fronçant les sourcils. Tu as fuis pour quoi ?

- D'une certaine façon, pour Troie, c'est le cas, elle a été détruite. Je suis partie parce que j'avais besoin de me comprendre, je me sentais perdue et je n'ai rien dit à personne. Bien sûr, ça a rendu ma mère folle inquiétude, et mon oncle qui est aussi mon tuteur ne s'est pas gêné et a promis une belle récompense et aussi ma main à l'homme qui me retrouverait. J'ai tout sauf envie de me marier avec un inconnu et d'être attachée solidement pour être ramenée à Delphes, j'ai encore beaucoup de choses à faire. Dont te ramener à Ithaque.

- Alors tu es venu chez ma mère pour rien ? fit-il en plissant les sourcils.

- Non, j'avais besoin de son savoir pour me rendre aux Enfers, venir à Aiaia ne m'a pas été inutile. Je vais te conduire à ton père, à Ithaque. Ensuite, je partirai avant qu'on ne me reconnaisse et qu'on ne m'assomme pour finir marier à un misérable.

Elle reprit ce qu'elle faisait et tourna le dos à Télégonos. Mais elle sentait qu'il la regardait et il devait songer à quelque chose qui d'emblée, ne lui plut pas. Et à juste titre.

- Si je te ramène à ta mère, elle me donnera ta main ?

Elle lui jeta un regard noir et il se décomposa sans tarder, intimidé. Il savait que lorsqu'elle le regardait de cette façon-là, ce n'était jamais bon signe.

- N'y pense plus une seconde de plus, je ne t'épouserai jamais et je ne compte pas me marier, martela-t-elle, le visage fermé. Tu n'auras que l'argent en récompense, ce n'est pas ma mère qui me vend comme on l'a vendu dans sa jeunesse, mais mon oncle. Il est hors de question que je mette un pied en Épire, et si tu t'y essaies, je te ligote solidement jusqu'à notre arrivée à Ithaque. Est-ce bien clair ?

Il acquiesça comme un enfant qu'on grondait, la tête baissée timidement. Malgré l'âge viril qu'il approchait, il gardait ce côté enfantin qui troublait la jeune femme sans qu'elle comprenne pour quelle raison. Et elle ne cessait d'être tiraillée entre le devoir qui l'incombait, l'affection et la propre expérience de Desdémone. Si elle faisait cela, tuer son père comme on avait tué le sien, ils tomberaient dans un cercle vicieux. Mais il était si dur de lutter et réfréner ses envies. C'était le tribut de sang qu'elle devait aux Erynnies. Circé lui avait dit qu'elle était la main guidée des dieux qui se vengeaient entre eux, la Pythie et les ombres des Enfers qu'elle avait interrogé le lui avaient également confirmé.

De Delphes toute puissanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant