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— Nous parlons ici de raison de vivre. C'est à cela qu'il faut s'attacher.

Il fait rapidement glisser ses trois premiers doigts sur eux-mêmes, comme s'il froissait un billet.

— Nos valeurs ont été perdues car nous les croyions acquises. Il y a peu de temps encore, j'ai constaté tout ce tintamarre médiatique, cet homme qui a sauvé ces enfants... on a appelé ça de l'héroïsme. Non, ce n'est pas de l'héroïsme. C'est juste normal ! Dans quelle société sommes-nous, pour appeler ça de l'héroïsme ?

Il a un léger geste de main agacé. Et décide alors d'en venir au sujet qui intéresse l'assistance :

— Les différents secteurs de la criminalité ont été momentanément dissoutes dans votre région, mais ces commerces lucratifs ne sont jamais totalement abandonnés... tout individu emprisonné est très vite remplacé dans la même chaîne de commerce illicite. C'est toujours ainsi... nul ne tire jamais leçon de ses erreurs tant que l'avidité est présente. Dans tous secteurs. Autrement, les marchés financiers auraient tiré leurs leçons des crises économiques à répétition, n'est-ce pas...

J'adore comme il attaque ce qu'il veut tout azimut, et comme il a les moyens de le faire. Cette fois il critique les marchés financiers et l'avidité des gens qui ne peuvent plus s'arrêter de s'enrichir quitte à créer des crises...

— Certaines têtes pensantes ont la main sur plusieurs types de trafics, souvent par des réseaux différents, à l'étranger, et peuvent donc se rabattre sur l'un ou l'autre pendant que le précédent est inopérant. Il n'y a aucune échappatoire à laisser à ces individus ! Ce ne sont pas de simples voyous de rue. Ils profitent de tout un écosystème, de tout l'échec de notre société pour s'enrichir. Détruisent des vies, avantagent leurs amis...

Il marque une pause, subtil.

— Ces schémas se retrouvent souvent en politique... et ailleurs.

Grand silence dans l'assistance. Il est dingue de dire ça, alors qu'il y a des ministres ou des députés dans la salle. Je comprends pourquoi on dit qu'il n'a pas sa langue dans sa poche. Ça se voit qu'il est admiré et respecté pour pouvoir se permettre d'être aussi provocateur.

Certain doivent serrer les fesses et avoir des sueurs froides, en particulier les politiciens qui sont venus pour espérer tirer un avantage politique suite à la baisse du taux de délinquance.

Puis il ajoute, répondant à un désir évident du public :

— Quoi qu'il en soit je n'ai aucune indulgence ni réticence à mettre hors d'état de nuire ces gens-là. Certains encore nous ont échappé... mais pas pour longtemps.

Un tonnerre d'applaudissements. Pour une fois, il n'a attaqué personne, ni les policiers, ni les bourgeois, ni les politiciens. C'est l'occasion d'applaudir : beaucoup de personnes ont l'air soulagées.

Il écourte cette déclaration qu'il considère peut-être comme mineure ou méprisable d'un nouveau geste de l'avant-bras. Il a un de ces charismes doté d'une prestance désintéressée.

— Je pense que les membres de la F.C.E.C. vous ont fait part de leurs convictions. Si j'ai pu travailler avec eux, c'est qu'ils n'ont pas peur et ne cherchent pas à acheter la paix sociale de la manière la plus inepte qui soit. Ils ne sont pas comme...

Il fait un clin d'œil provocateur et achève sa phrase :

— ... les politiciens et autres technocrates.

Le public est incapable de réagir pour défendre ses vieilles certitudes. Il faut dire qu'il secoue les choses. Et qu'il tient la place. Le fait que personne dans l'assistance n'aurait pu faire le tiers de ce qu'il a accompli pour la sécurité des citoyens contribue à le rendre inattaquable.

La Panthère de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant