5

558 22 1
                                    


Le lendemain matin. 6h00.

Quand je me lève, ma mère n'est pas encore réveillée.

Je la soupçonne d'être plongée dans une de ses périodes de déprime, alors je me dirige vers sa chambre sur la pointe des pieds, et entrebâille la porte :

— Maman, ça va ?

— Mgnnnnnn...

Bon, elle sommeille. Je m'y attendais, elle a le cafard. Du coup je vais aller lui préparer son petit-déjeuner, en plus du mien.

Je sors en laissant la porte entrebâillée, et dresse sur la table de la cuisine tout ce qu'il faut pour le repas de la matinée.

Depuis le départ de mon père, elle a des périodes où elle est un peu déprimée. Je dois être forte pour elle. Quand elle est au chômage elle n'a pas l'esprit préoccupé par le boulot, alors elle a tendance à replonger. Même si ces périodes sont plutôt courtes : elle se démène pour retrouver rapidement du travail à chaque fois. Elle ne me laisse jamais manquer de rien. Du coup je peux vivre comme toutes les filles de mon âge, sans me restreindre ni rien.

Elle se démène pour moi, j'en ai conscience. Elle a du courage. Je la respecte pour ça. Alors j'essaie de me disputer le moins souvent possible avec elle.

Mon téléphone portable vibre. Juste au moment où je me fais mon bol de céréales. Je consulte l'écran. C'est Laetitia, qui vient sûrement de se réveiller aussi.

Tu penses quoi des cours d'histoire du cinéma, toi ?

J'avale une cuillerée, avant de répondre :

Je vais essayer d'être la plus assidue possible, même dans ces cours-là, on sait jamais, à force, ça peut peut-être nous ouvrir les portes du cinéma

Faut pas trop rêver

Je porte le verre de jus de pamplemousse à mes lèvres. Je ne suis pas dupe de mes maigres chances d'utiliser cette formation en audiovisuel pour toucher les métiers du cinéma. Même si j'aimerais trop !

À la limite, la partie technique, savoir monter des films, vidéos et autres courts-métrages ça peut être utile d'un point de vue professionnel. Et encore. Il faut aussi savoir être réaliste. J'ai beaucoup d'espoir et de motivation, sans pour autant « me faire des films » tout le temps, en tout cas j'essaie de ne pas m'en faire trop en permanence.

Devenir streameuse c'est une chose, mais le cinéma c'est encore plus dur. Décrocher un boulot dans le septième art... pas forcément actrice, ni réalisatrice au début. Avoir un pied dedans... et peut-être, un jour, avoir mon nom dans les premières lignes des génériques.

Mais comme dit Laetitia, faut pas trop rêver. Je ne vais pas forcément devenir la plus grande actrice de tous les temps.


*  *  *  *  *

Plus tard, au cours de l'après-midi.

Je me dirige avec bonne humeur vers la sortie de l'établissement. J'ai hâte d'aller passer un moment avec Laetitia en ville.

Quand je vois Ethan marcher non loin en direction de sa moto, toujours aussi mystérieux, je ne peux pas m'empêcher de remarquer qu'il a quelque chose sur le visage. En scrutant mieux, je dois me rendre à l'évidence : il s'agit d'une éraflure, sur le côté droit du visage, comme s'il s'était pris un coup de couteau qui lui était passé tout près de la figure.

Mince, un coup de couteau tout près de son beau visage. J'espère que ça va pas lui laisser de cicatrice. Mais pour l'instant ça lui donne un côté encore plus intriguant, et encore plus sexy. La curiosité l'emporte bien vite.

Je me rapproche et lui demande :

— Salut... ça va ?

Il ralentit sans vraiment s'arrêter, me regarde et me sourit, provocant.

— Tiens, qui voilà ? La demoiselle trop curieuse... ouais ça va, et toi ?

— Oui je vais bien ! Au fait, je m'appelle Agathe.

— Agathe... ah ouais, comme l'agate, la pierre précieuse aux mille couleurs. Je suis plutôt émeraude et saphir, j'avoue. Mais c'est vrai, ça peut être intéressant de découvrir de nouvelles nuances. Et en particulier, les mille nuances d'une agate.

— Ah oui ? Tu penses que j'ai mille nuances ?

— Je ne le pense pas, je le sens.

Après cette déclaration surprenante, il marque une courte pause et enchaîne :

— J'imagine que tu sais déjà comment je m'appelle, hein, miss Curiosité...

— Ethan, c'est ça ?

— Il paraît, ouais.

— Enchantée ! Dis-moi... c'est quoi que tu as sur le visage, là ?

En entendant cette remarque, il porte la main à sa blessure, évasif, comme s'il venait tout juste d'apprendre son existence.

Il assène :

— Rien.

Je m'attendais à cette réponse. Mais cette fois, je ne vais pas me laisser faire.

— Comment tu t'es fait ça ? Tu t'es battu ?

Il me considère d'un regard noir, piqué au vif par une telle indiscrétion.

— Mêle-toi un peu de tes affaires, ma belle...

— Normal que je m'en fasse pour toi. Tu as fait preuve de gentillesse en me secourant, ce n'est pas la réaction d'un voyou qui passe son temps à se battre, ils ne sont pas comme ça. Eux n'auraient pas réagi. Alors, je me pose des questions. Je me demande qui tu es vraiment.

Il fronce les sourcils en me regardant droit dans les yeux. Puis il sourit légèrement :

— Toi tu aimes bien provoquer, hein ?

— Je pense que tu joues un rôle, dis-je avec conviction. Tu n'es peut-être pas celui que tu prétends être...

Il croise les bras, me défiant du regard, puis rétorque :

— Ah ouais ? Comme un acteur ?

— Un très bon acteur, oui. Et je me demande toujours pourquoi tu t'es inscrit dans des études de Cinéma.

— Tu vois, si j'étais metteur en scène, je te foutrais déjà dehors, ma belle. Ne pas être capable de distinguer ceux qui jouent un rôle de ceux qui n'en jouent pas, c'est inacceptable... Fais gaffe, je serai peut-être ton prochain metteur en scène...

— Oh, tu veux dire que tu ne joues pas un rôle, là ? Que t'es un étudiant comme un autre ? Tu veux me faire croire ça...

Il me foudroie de ses iris, de plus en plus sombres, mais ne répond pas.

Au moins j'ai pu obtenir ce que je voulais : le faire sortir de cette réserve exaspérante et distante. Mieux vaut tempérer, maintenant. Je n'ai pas envie de m'en faire un ennemi.

— Bon, excuse-moi, je me demandais simplement si ça pouvait être grave, ton entaille au visage.

— Tu te fous de ma gueule ? Depuis quand une simple entaille peut être grave ?

Je me rattrape comme je le peux :

— Euh je ne sais pas, si ça peut s'infecter.

— Et, quoi, tu me penses trop stupide pour désinfecter si c'était le cas ?

Je me mords la langue et je sens la boule d'intimidation revenir dans mon ventre pour me le nouer. J'ai l'impression de tout faire de travers. Même si je ne sais pas exactement ce que je fais de travers. À chacune de mes répliques, j'ai l'impression de ne faire qu'empirer les choses. Je crois que je suis allée trop loin dans la provocation dès le début.

Je ne comprends pas pourquoi je fais des réponses aussi nulles, mais j'ai pas vraiment le temps d'y réfléchir. Avant que je puisse me reprendre, il est déjà reparti d'un pas zélé, trop énervé contre moi. Je reste bête et affligée, quelques secondes sur place. Oh mais non c'est pas vrai, qu'est-ce que j'ai eu l'air cruche encore une fois !

La Panthère de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant