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Les motos commencent à avancer de quelques mètres. Ethan reste un peu à l'écart, les phares toujours éteints. Je ne sais pas trop ce qu'il prépare, mais je fais en sorte de ne pas le perdre du regard. Pas un seul instant.

Mon conducteur-partenaire me lance :

— T'as intérêt à me serrer le plus fort possible... comme si ta vie en dépendait.

Je l'attrape fermement en passant mes bras autour de lui, et m'agrippe.

Soudain un son violent et assourdissant s'élève partout autour de moi : comme si le monde entier s'embrasait dans une détonation phénoménale ; je me sens possédée et totalement envahie par ce tonnerre de rugissements de moteurs. Je vois de nombreuses motos démarrer et s'élancer sur la route.

Je prends moi aussi de la vitesse quand mon conducteur-partenaire s'élance sur l'asphalte obscur, un asphalte baignant dans la nuit et désormais parcouru par les nombreux et vigoureux phares des bolides. Lorsque je sens cette pression de la vitesse augmenter sur moi je m'accroche avec d'autant plus de force à lui.

Mon cœur s'emballe quand la moto accélère d'un coup : en quelques secondes seulement on rattrape les autres, qui sont en première ligne devant nous, et multiplient les feintes sans réellement chercher pour le moment à se dépasser les uns les autres, se défient dans des vrombissements démoniaux et retentissants, des provocations fracassantes. Les engins ne sont qu'à deux ou trois mètres les uns des autres et foncent à une vitesse fulgurante. J'en ai des sueurs froides à me dire qu'à tout moment, un accident peut avoir lieu droit devant moi.

Le paysage défile à une allure folle autour de mes yeux. En m'agrippant de toutes mes forces je regarde autour de moi et ne vois pas Ethan. Apparemment, il n'a toujours pas allumé ses phares et file dans la nuit, un peu à part des autres. Je n'ai pas le temps de m'interroger sur son plan : trop concentrée sur les sensations de folie qui s'emparent de mon corps.

Un virage a soudain lieu : l'air claque contre mes vêtements avec force, je me tiens frénétiquement à lui malgré que mon conducteur-partenaire soit talentueux et hors-pair pour tourner de manière souple.

La course continue sans que personne parmi les concurrents devant mes yeux ne daigne encore débuter les hostilités, l'adrénaline court en moi à grande vitesse. Les voitures sur l'autre voie qui circulent à distance de nous semblent pratiquement être à l'arrêt tant on va vite, et tant la moto sur laquelle je me trouve va elle-même à une allure d'enfer ; mais je n'ai pas peur, emportée par les puissantes sensations, ça me galvanise tellement le corps et l'âme, le paysage que je ne vois presque plus ainsi que la nuit dans laquelle je fonce, une nuit traversée par de puissants et épais faisceaux lumineux.

Les mecs du peloton de tête se touchent presque tant ils sont proches ; ils s'incitent mutuellement à prendre des risques les uns les autres par leur comportement provocateur, menaçants dans leurs mouvements de moto, prêts à s'éjecter sur le côté dans un immense accident mortel. Mais ça reste du bluff pour l'instant, dans le but de prendre l'avantage : ils savent que s'il y en a un seul qui tombe maintenant, il y a un risque de carambolage en chaîne et de mourir tous ensemble.

J'ai le cœur qui palpite si fort qu'il paraît tambouriner aussi intensément que tous ces moteurs qui grondent.

On taille la distance à une allure vertigineuse et j'ai l'impression de posséder comme l'entièreté de l'espace et de l'univers en moi, on domine l'obscurité par notre hallucinante vitesse, je deviens la maîtresse de la nuit. Je comprends Ethan maintenant ! Le bourdonnement fracassant des motos vrille tel un concert à mes oreilles, j'absorbe toute la nuit en face de moi. Même si je risque ma vie et que la pression de l'air me force à rester agrippée au motard, je n'ai pourtant pas peur : j'ai la sensation de vivre entièrement, sans limites et en totale liberté, les règles et les lois terrestres n'ont plus prise sur moi.

La Panthère de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant