La Panthère de Lumière

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Square du Paillon. 15h12, l'après-midi.

J'arrive en discutant gaiement avec Laetitia, plutôt contente de venir ici pour profiter de l'exposition préhistorique.

C'est Laetitia qui a eu l'idée de m'y amener, pour me changer les idées et que j'arrête de penser à Ethan. Elle dit que c'est un super gros red flag que de sortir avec un potentiel criminel, et c'est sûr qu'elle a raison. Il faudrait que je me contente de travailler avec lui, que je m'inspire de son indiscutable talent dans l'optique de ma future carrière, en essayant de ne pas trop craquer pour ses beaux yeux.

Je plaisante avec Laetitia, dès qu'on aperçoit les premières sculptures de l'exposition. Ça nous rappelle les films qu'on regardait ensemble, et les jeux auxquels on jouait en ligne, en coopération. Qu'est-ce qu'on a crié quand on voyait les velociraptors rappliquer ! Et en plus ça a des plumes, en vrai, sur le côté, ces bestioles. Ces sales bêtes, on dirait des poules avec des dents.

C'est vraiment une belle exposition. L'événement se prolonge sur plusieurs centaines de mètres. D'ici, on peut admirer des statues de divers dinosaures, des squelettes et des tableaux narrant le mode de vie de ces extraordinaires créatures. Une partie des effigies sont exposées sur la pelouse du grand parc.

Avec Laetitia on arpente lentement le large sentier de terre en compagnie de nombreux autres visiteurs. On admire en prenant notre temps. Les statues sont immenses, grandeur nature. Il y a des diplodocus, des mammouths...

Alors que nous passons près de l'effigie très réussie d'un spinosaure, on a la très bonne surprise de croiser sur notre chemin Emily Minerald et son amie Gwladys.

Oh, la lycéenne aux yeux verts de manga, qui monte aux arbres pour secourir les chats ! Je ne l'ai revue qu'une poignée de fois depuis notre première rencontre au parc, c'était à la bibliothèque où elle vient parfois lire des romans, j'aimerais lui parler plus souvent mais elle n'a pas de téléphone portable, d'après le peu que j'ai compris de son amie Gwladys il y a un truc sombre avec ses parents, ils sont anormalement cruels, mais bon, je ne peux pas m'en mêler. En tout cas c'est sympa de la croiser comme ça.

— Coucou, les filles !

— Coucou !

— Vous venez pour l'expo ? Ça fait plaisir de vous voir !

— Oui, Emily voulait trop voir s'il y avait des tigres.

Toujours cet amour immodéré pour les félins, chez elle... je ne peux pas m'empêcher de sourire.

— Nous on venait voir un peu. On visite ensemble ?

— Oui avec plaisir !

Emily a l'air super contente d'être là. Elle est toute pétillante et de bonne humeur. Avec son air curieux, ses iris aussi majestueux que ceux d'un chat, c'est une jeune fille adorable, je l'aime bien. Même si elle me déstabilise toujours un peu ; j'ai l'impression qu'elle ressent les choses, et les sentiments des gens, très facilement.

Mais pour l'instant, elle est très occupée avec l'expo :

— J'aimerais bien adopter un bébé stégosaure ! s'exclame-t-elle en en voyant un.

— Je pense que ça va être compliqué, plaisante Laetitia. Quoique un jour, peut-être qu'on pourra cloner des dinos. Et qu'on les trouvera carrément dans les animaleries. Qui sait ?

Je me mets à rire en me représentant la scène.

— Ah ouais, j'imagine les chiots qui regardent d'un air un peu apeuré les bébés dinos dans les boxes voisines !

— Ça craint, renchérit Gwladys en rigolant.

Nous poursuivons notre visite, et nous arrêtons devant un socle géant sur lequel trône en bonne place un tyrannosaure. Emily annonce fièrement :

— Moi, si j'étais une dinosaure, je serais parmi les carnivores !

— Pourquoi ?

— Ben comme ça je serais assez forte pour protéger les herbivores.

— Normalement tu dois plutôt les bouffer, les herbivores. Si tu es une carnivore.

— Nan moi pas trop. Ou alors aussi les protéger.

— Remarque tu peux les aider en les bouffant ! dit Gwladys.

— Oui voilà pour réguler leurs espèces, plaisanté-je.

— Bon alors là ça va, si c'est pour réguler les espèces.

Nous reprenons notre route en papotant gaiement. Mais, au cours de nos pérégrinations, je me laisse aller à rêvasser. Mon cœur est préoccupé par autre chose. Une partie de moi-même ne peut s'empêcher de regretter qu'Ethan ne soit pas là. Je le déteste, mais en même temps il me manque. J'aimerais entendre ses commentaires sur l'exposition et me disputer avec lui. J'aime ces disputes, ces prises de bec, j'aime le provoquer et j'aime répondre à ses provocations à lui.

Je me déteste de ne pas pouvoir l'oublier. Et le fait qu'il soit déjà craint, qu'il possède mystérieusement des appartements dans une ville dont il n'était pas résident il y a quelques mois encore, ça laisse entrevoir un passé particulièrement ténébreux, qui devrait me faire garder mes distances. Mais je ne peux pas contrôler mon cœur, et je ne peux pas l'empêcher de battre aussi fort quand je pense à lui.

Peut-être sensible à ce genre de choses, Emily remarque mon attitude.

— Tu as des soucis ? demande-t-elle en me regardant de ses iris couleur jade.

— Hum ? Non, non... je pense juste que... non, rien.

— Tu penses juste que quoi ?

— Je pense juste que c'est dommage qu'un mec que je connais n'ait pas voulu venir.

— Ah ?

Son air curieux me déstabilise, j'ai l'impression qu'elle perçoit mes sentiments.

— Un ami ou un amoureux ?

— Ben, disons un jeune homme que j'aimerais bien connaître un peu plus.

Emily m'adresse un sourire compatissant et répond :

— Je suis sûre que tu auras l'occasion de le connaître un peu plus une prochaine fois.

— Oh, je ne sais pas, il m'a sauvée et protégée à de nombreuses reprises, et pourtant, étrangement, il reste relativement froid avec moi.

Emily continue de me toiser de ses grands yeux verts, et répond :

— Pourquoi tu le sauves pas, toi aussi ?

Ma marche ralentit légèrement quand j'entends ça. Ce conseil me paraît étrange, et pourtant, aussi étrange qu'il semble être, il a quand même du sens.

Comment Ethan réagirait-il si je le sauvais à mon tour ?

Tandis que l'après-midi défile, cet étrange conseil me trotte dans la tête.