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Mais il n'a pas le temps de s'adresser à moi car une sexagénaire bien maquillée et accompagnée par son mari arrive pour le solliciter, ce qui monopolise son attention :

— Monsieur Staune ! C'est un honneur de vous voir ici. Après tout ce que vous avez fait pour notre ville !

— Je ne fais que mon devoir, madame, rien de plus, dit-il poliment.

Elle engage la conversation avec lui et son mari également. Puis repartent ensemble. Une autre femme, plus jeune, s'insère à son tour dans le groupe afin de pouvoir échanger avec lui. Bientôt suivie d'une autre.

Restée immobile, je réalise que je n'aurai peut-être plus jamais l'occasion de lui parler si je le laisse partir. Il est tellement demandé.

Il est ici pour répondre aux questions des citoyens alors autant en profiter tant que c'est possible.

Je me dépêche donc de réagir : et me presse de le rattraper. Je me glisse entre les gens et prends mon courage à deux mains. Je déclare, quand je suis enfin devant lui :

— Excusez-moi encore, je suis confuse... mais j'aurais voulu vous poser une question. Euh... dans une situation, par exemple... qu'une personne essaie d'en tuer une autre, par des moyens indirects, et que la personne incriminée connaît beaucoup de gens, qui sont aussi un danger pour la vie de la victime... que conseilleriez-vous ? Que devrait-on faire dans un tel cas ?

Staune me fixe, de ses yeux à reflet bleu-vert absolument charmant. C'est renversant, plus que tout. Déroutant. Il semble s'amuser de mon audace et de mon aplomb d'être passée devant les autres. Il me répond :

— Eh bien, chère demoiselle... ne calcule plus Thucydide... interroge plutôt Eric Hoffer.

Devant mon incompréhension, il semble réaliser que je suis peut-être plus jeune qu'il ne l'a cru au premier regard et précise :

— Il faut bien sûr rendre visible leur comportement aux autorités compétentes, mais surtout, il y a une chose bien plus importante à faire...

— Euh... laquelle ?

— Les mécanismes de domination sont des mécanismes savamment huilés, pour quiconque ne souhaite pas s'exposer en assassinant directement un individu. Il faut savoir sortir de ces mécanismes avant tout. Les tordre à son avantage.

Je reste interloquée, mais désireuse de comprendre.

— Euuhm... c'est-à-dire ?

— Il convient de tisser sa propre toile d'araignée, plutôt que de se débattre dans celle de nos bourreaux. Les situations peuvent se retourner étonnamment vite... et la situation se retournera toujours contre tes bourreaux, dès lors que tu sortiras du statut de victime pour faire preuve de stratégie contre eux. Les autorités compétentes pourront t'aider en ce sens. À organiser ce retournement de situation, notamment...

Il me fait un clin d'œil et précise :

— Toujours dans la légalité, bien sûr, le tissage de la toile... c'est ce qui nous distinguera toujours d'eux.

D'autres personnes s'approchent du groupe, également désireuses de lui parler. Voyant qu'il ne va pas être libre suffisamment longtemps pour poursuivre cette conversation avec moi, Adrian tend la main et la place sous la mienne. Il soulève délicatement ma main jusqu'à son visage, souriant, et fait mine d'y déposer les lèvres, sans pour autant la toucher. Il ne fait que m'effleurer le dos de la main avec les lèvres et avec respect. Sous la forme d'un baisemain.

C'est la première fois de ma vie qu'on me fait une sorte de baisemain comme ça... c'est super romantique...

— J'espère avoir répondu à ta question, et j'espère que cette rencontre un peu... étourdissante, pour toi lorsque tu es tombée à terre, ne gâchera pas cette soirée, à toi et à ton amie, dit-il après m'avoir lentement lâché la main.

Puis il nous adresse un beau sourire à toutes les deux et se détourne de moi pour poursuivre sa route avec les autres.

Je reste immobile un long moment, le poignet toujours bêtement levé. Puis je le baisse enfin.

— Hey, ça va ? dit Laetitia d'un air enjoué. Tu as l'air sous le charme, là.

— Euh non non ça va, c'est juste que... c'est juste que je n'avais pas trop compris ce qu'il voulait dire.

Laetitia s'amuse de mon état resté un peu déstabilisé après cette rencontre :

— Hey, les mecs ça se prend un par un, et t'en as déjà un en tête je te rappelle. Allez viens, on va finir de visiter, ça te changera les idées.

Je me ressaisis et finis par la suivre. Toujours sous le charme de cette rencontre avec Adrian.

J'ai, en moi, une jolie constellation dans le ventre, qui rayonne jusque dans l'esprit.


*  *  *  *  *


Sur la terrasse, Adrian Staune a enfin réussi à se débarrasser des convives, lorsqu'il est approché par un des membres de l'A.J.T. Ils se saluent, puis s'éloignent un peu du reste des invités.

— Pourquoi t'es revenu à Nice ? On a besoin de toi sur Paris.

— Je viens de prendre l'avion depuis Paris, répond distraitement Staune en regardant les montagnes et la lune au loin.

— Oui... mais tu t'intéresses beaucoup à Nice, pour la petite ville que c'est. Il y a mieux à faire à Paris et à Marseille.

Staune ne répond pas. Ils continuent de marcher ensemble sans parler.

— Tu es là pour Ethan Sroth n'est-ce pas ?

— Ah, Ethan Sroth... j'espère pour lui qu'il ne va pas refaire les mêmes erreurs du passé.

— Tu sais bien que si.

— Alors je serai là pour l'arrêter.

— Tu as failli foutre ta carrière en l'air une fois. T'as failli tout perdre à cause de lui. Passer du mauvais côté des barreaux. Ne recommence pas putain. On a besoin de toi.

Staune s'arrête d'avancer et se tourne vers lui, subitement froid.

— Je suis là pour stopper tous les salauds qui détruisent des vies autour d'eux. Peu importe le nom qu'ils portent. Et peu importe si cela me touche personnellement ou pas. Ce sont les convictions que nous partageons avec l'A.J.T., toi et moi. Quant au temps consacré à cette affaire... tu sais très bien ce que je vais te dire. Le temps que je consacre à surveiller un salaud... sera toujours proportionnel à la dangerosité de celui-ci.

La Panthère de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant