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Il s'arrête calmement près de l'eau, les bras à demi croisés, sans lâcher le récipient de cristal.

— Viens regarder ça, dit-il calmement.

Je m'approche de lui. Tout près de lui.

— De quoi ?

— Ton visage.

Je contemple l'eau. Je vois ma propre face onduler lentement à la surface. Ma fleur dans les cheveux attire les lumières lunaires. Il y a quelque chose de doux dans cette vision...

— C'est vrai, c'est beau... quand je suis avec toi, je me sens tellement plus belle...

— Tu es toujours belle... tu es belle naturellement. Tu es tel un papillon, avant son envol, qui n'a pas encore conscience de toute la beauté de ses ailes. Belle comme la nuit, plus belle que le jour, princesse.

J'observe à nouveau le reflet. C'est vrai, je parais tellement libre comme ça. Naturelle. Tellement moi-même.

— Si tu veux je vais chercher d'autres bougies, je les dispose autour de la piscine, et on va discuter dans l'eau, nos verres et quelques toasts à notre portée. Il y a un maillot pour toi. Et même beaucoup de maillots différents, selon tes goûts.

La proposition me fait sourire.

— Quoi ? T'es fou... dis-je d'un ton enjoué, mais pourtant ouverte à cette proposition.

— Ouais... fou de toi, peut-être...

Il vient face à moi, et il me pose doucement le haut du verre sous le bas du menton. Il me le relève lentement avec, en plongeant son regard troublant et inoubliable dans le mien.

Quand il le retire, je jette un regard autour de moi. Cette villa est si belle, comme dans un film, si vaste que je n'ai pas envie de partir.

Mais je sens qu'il ne me fait pas totalement confiance. Il a trop d'ennemis. Il faut que je le mette en confiance. Que je l'aide à se débarrasser de ses ennemis, par exemple.

Comme il se trouve si près de moi, je suis tentée de faire un mouvement en avant pour l'embrasser, et d'ajouter : « Et maintenant, tu me fais confiance ? ». La beauté du paysage aidant. Meilleure façon de se prouver qu'on peut se faire confiance. Mais ça aurait autant de chances de le déstabiliser que de le mettre dans une colère noire.

— En tout cas t'es super beau gosse ce soir, me contenté-je de dire. Pour te saper tu as bon goût.

— Je te remercie. Toi pareil, ma biche.

Il regarde mes cheveux d'un œil expert.

— Une deuxième et une troisième fleur, peut-être... cela t'irait bien, princesse...

Difficile de dire s'il me charrie ou pas. J'ai le sentiment qu'il faut tenter des trucs avec lui, ne pas attendre, car il joue bien et me défie constamment. Mais je ne veux pas risquer de faire quelque chose qu'il réprouve alors je prends mon temps, d'autant que c'est sans doute un homme dangereux. Le risque de le rendre agressif est dissuasif, de toute action un peu trop entreprenante.

Je le regarde et lui dit :

— Pourquoi tu ne fais confiance à personne ? Chéri...

— Tu le sais. J'ai des ennemis.

Je marque une hésitation, tout en le considérant du regard. Peut-être accepterait-il de se réhabiliter petit à petit, si je lui promets une meilleure vie dans mes bras. Et avec moins de risques. Je déclare :

— Tu sais, si tu as des ennuis ou que beaucoup de gens essaient de te tuer, il y a une personne de haut niveau qui est venu s'occuper de la criminalité sur Nice. Ça pourra peut-être t'aider. Un certain Adrian Staune, et ceux qui travaillent avec lui, je suis sûre que tu le connais.

À peine ai-je prononcé ces paroles que je comprends que je viens de commettre une erreur.

— Putain quoi ?!

Il me foudroie du regard ; les traits de son visage se durcissent soudainement et ses poings se serrent.

— Non mais j'hallucine, qu'est-ce que t'as osé dire ?! rugit-il.

Ses yeux ne sont plus qu'un brasier rougeoyant, une furieuse explosion de ténèbres se concentre dans ses iris. Il avance vers moi ; je recule de quelques pas. Mais son mouvement est bien plus puissant et rapide que je n'ai pu le prévoir ; je reçois une magistrale claque et en tombe violemment par terre. Malgré la douleur qui me parcourt le corps à tous les endroits, et la tête qui me tourne, je tente instinctivement de me relever. Il s'est reculé d'un pas ou deux, peut-être pour ne pas être tenté de me frapper à nouveau.

— Dégage... dégage d'ici maintenant... DÉGAGE D'ICI !!! hurle-t-il.

La vision encore tournoyante, la douleur déchirante au niveau de mon col du fémur, je parviens à me remettre debout en me soutenant à un pilier, bien que chancelante. Je relève tant bien que mal le regard vers lui : il s'est reculé dans les ténèbres, au cœur de la pénombre. On dirait qu'il souffre presque autant que moi de ce qu'il a fait, et tente de se griffer le bras jusqu'au sang. Instinctivement, je me tourne vers le chemin qui mène à la sortie de la villa : je reconnais cette route. L'urgence vient à ma conscience : je dois m'éloigner de lui le plus possible.

Souffrant à chacun de mes pas, je boîte dans cette direction, et entreprends de retraverser la propriété. Je n'entends plus Ethan, il ne fait rien pour m'arrêter, mais j'ai l'esprit trop brouillé pour réellement y penser. Les images de l'environnement qui se trouve tout autour de moi défilent devant mes yeux, dans la nuit presque noire, sans que je m'en préoccupe tellement. J'avance sans réfléchir.

Bientôt, je me retrouve dans la rue. Sans vraiment comprendre comment je suis arrivée là. Face à une rue sombre, nocturne, à quelques mètres de l'entrée de la villa.

Je m'éloigne encore, sur la route. Les bruits de la ville, au loin, se font peu à peu perceptibles à mes oreilles, mais j'ai encore du mal à ressentir de manière habituelle l'ensemble de mes sens et de mes perceptions. Je suis encore sonnée. La douleur que je ressens en particulier dans mes coudes, autour de mes fesses et dans la colonne vertébrale supplante tout. Mais l'air frais me réveille peu à peu, et me sort progressivement de ma léthargie.

Je ne sais pas combien de temps j'ai marché, ni où je me trouve. Je progresse sur la route sans savoir où je vais. Les maisons se dressent autour de moi telles des bâtisses endormies, dans des rues qui ne le sont pas moins. Je n'ai pas encore rencontré de voiture. Mais je finis par m'arrêter, en me rapprochant d'un muret où on peut s'asseoir ; j'en profite pour m'y laisser retomber. Après cette longue marche, assise, je prends du temps pour reprendre mon souffle. J'ai moins mal, maintenant. Je me repose. Sans bouger.

Je ne sais pas ce qui est arrivé à Ethan. Mais maintenant, je suis à un endroit que je ne connais pas du tout. Un quartier résidentiel que je n'ai jamais vu. Je pourrais marcher jusqu'au centre ville, ou au moins essayer, mais j'ai peur de me perdre encore davantage que je ne le suis déjà. J'ai besoin qu'on me ramène chez moi.

Je fouille dans mon sac, que j'ai heureusement saisi en partant par réflexe. J'en sors mon téléphone. Je compose rapidement le numéro de ma meilleure amie. Et, après quelques sonneries, elle répond. Toujours là pour moi, quelle que soit l'heure. On se l'est promis depuis longtemps.

— Laeti'... dis-je d'une voix un peu éraillée. J'ai vraiment besoin de toi, là...

La Panthère de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant