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Quartiers du Fabron, l'après-midi.

Dans le Fabron, quartier bourgeois très bien entretenu, sorte de havre verdoyant tant universitaire qu'historique, la verdure est présente partout, et rayonne sous le doux soleil de la Côte-d'Azur.

Près d'une élégante villa, l'agitation règne. Plusieurs jeunes hommes contrôlent les nouveaux arrivants. Ces vigiles semblent accueillir, mais surtout sélectionner les visiteurs : ceux qu'ils ne connaissent pas suffisamment sont priés de faire demi-tour ou d'appeler quelqu'un qui pourra confirmer leur identité.

Lorsqu'Ethan gare sa moto noire devant la propriété, il enlève son casque, descend de sa monture, l'enchaîne rapidement et se dirige vers l'entrée.

Il échange un regard avec les mecs devant l'entrée : ces derniers ne disent rien et détournent le visage pour le laisser passer. Le reconnaissant, plusieurs autres personnes s'écartent aussitôt sur son chemin.

À l'intérieur, c'est une sorte de festivité privée, et il règne une ambiance électrique. Tout le monde n'est pas forcément ami ici : dans certains groupes la tension est palpable. Dans d'autres ça va mieux : on échange des sollicitations. Mais il y a tout de même de la nervosité chez certains, de l'agacement voire de la frustration.

Après avoir balayé les lieux d'un regard froid, Ethan se dirige vers l'un des mecs présents, debout entre le bar et les canapés, discutant avec une magnifique jeune femme.

— Hey, dit Ethan, en lui donnant un petit coup du poing sur l'épaule pour obtenir toute son attention.

Le gars se retourne : il a un léger sourire et paraît plutôt ravi de le voir.

— Hey, je croyais que tu ne viendrais pas !

— J'ai changé d'avis. Mais je viens juste prendre un verre, rapide. Je ne reste pas.

— Salut ! dit la fille en adressant un grand sourire à Ethan, qui hoche simplement la tête en retour.

— Je peux te parler deux minutes, Dorian ?

Dorian affiche un sourire tendu.

— Bien sûr.

Et, s'adressant à la fille :

— Laisse-nous, s'il te plaît.

Le sourire de la jeune fille s'efface, et elle baisse les yeux avant de se détourner lentement et de partir sans un mot.

Les deux jeunes hommes se dirigent vers le bar et s'y installent. Un mec se dépêche d'apporter une bouteille, des citrons et des pailles à Ethan, comme pour lui souhaiter la bienvenue. Ou comme s'il était craint.

Ils se servent tous deux un verre, concentré de cognac et de rhum.

— Tu veux voir le proprio ? demande Dorian.

— Non. Ça ne me concerne pas.

Ethan saisit son verre d'alcool et, d'un geste assuré, le boit en quelques gorgées sans s'arrêter. On lui apporte encore différents amuse-gueule : plusieurs personnes se sont mobilisées dès son arrivée pour lui amener des choses, soucieux de son confort. Même ici les gens le craignent : personne ne veut se mettre en mauvais termes avec Ethan.

Il ne regarde pas ce qui se passe dans la salle, mais il garde tout de même une oreille attentive, toujours sur le qui-vive.

Dorian boit à son tour, sans oser regarder Ethan.

Il risquait d'avoir de graves ennuis s'il cessait de bénéficier du soutien et de la protection d'Ethan. Et la présence d'Ethan ici n'était pas un bon présage pour la suite.

Quoi qu'il en soit, il a besoin de lui... et il préfère l'avoir parmi ses amis.

— Tu vas à cette université, alors ? avance Dorian.

— Ouais. Ils n'ont toujours pas compris pourquoi je voulais aller là-bas. Les imbéciles.

Ethan reste encore quelques secondes silencieux. Puis il dit enfin :

— Il y a une fille, là-bas. Je suis certain de l'avoir déjà vue quelque part.

Dorian se tend, vigilant.

— Ah oui, où ça ?

Une fossette se dessine, fugace, sur le joli visage d'Ethan, tel un demi-sourire.

— Tu te rappelles l'affaire qu'il y a eu en août du côté de Cagnes-sur-Mer, dans la résidence d'Éric Valaran ?

— Ouais, ça s'est mal terminé... beaucoup de morts...

Ethan tapote son verre du bout des doigts, toujours légèrement souriant, puis répond :

— J'ai croisé un des responsables, le style à se prendre pour un grand caïd, et à vendre du pouvoir pour pas cher. Le genre de mec qui s'est rempli les poches et qui écoulait son fric en se servant d'autres connards comme couvertures. Je pense qu'il devait soutenir Valaran et s'arranger avec lui, juste avant de retourner sa veste, par pur intérêt. Son fric n'est pas sorti de nulle part. Il avait un nouveau boss à ce moment-là, un gros. Vraiment un gros. Le même que Valaran, je l'ai découvert plus tard, grâce à mes informateurs. Un homme qui s'est fait la majeure partie de son influence après les rafles d'Adrian. Et cette femme... la femme dont je te parle, j'ai cru la voir à cette occasion. Près de ce boss, justement.

— Et, quoi, t'es en train de dire que ce mec a une pute à cette université ? Genre celle-là ? Qu'est-ce qu'on en a à foutre...

— Non. Mes informateurs sont particulièrement fiables. Elle avait une véritable importance dans son organisation. Alors cesse de faire ton narquois avec moi, en me parlant de cette université, j'ai une très bonne raison d'être ici.

Le visage de Dorian se durcit, de plus en plus méfiant.

— Joue la confrontation, si t'es pas encore sûr à cent pour cent que ce soit la même personne.

— Fais pas le con, tu sais très bien ce que je veux dire.

— T'es quand même pas venu juste pour me dire ça. Pourquoi tu voulais me voir ?

Ethan relève son beau visage endurci, froid et audacieux ; il ajoute sèchement :

— Ouais, t'as raison. Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu fais le con avec moi, depuis un moment. Tu crois que je vais avoir toujours de la patience ? Ça fait combien de fois que je te sauve le cul ? Tu crois que tu le mérites ?

— Ça va, Ethan. Ça fait longtemps qu'on sait qu'il n'y a pas de morale à avoir dans ce monde de merde. Avoue, on est prémunis contre ces conneries, toi et moi...

Le sourire d'Ethan s'accentue, et il termine son propre verre d'un seul trait.

— Jamais totalement, mec. Jamais totalement. La prochaine fois, tu seras seul.

Puis, reposant le récipient désormais vide :

— Un petit rappel de temps en temps, pour se remettre les yeux en face des trous. Je n'ai plus envie d'avoir des regrets, ni de protéger des connards. Le genre qui vienne te bouffer le cœur.

— Ah bon, t'as un cœur, toi ?

Le visage d'Ethan se contracte et il détourne à moitié la tête, comme s'il ne supportait pas ce qu'il était devenu.

— Physiquement, je crois, ouais.

Une altercation éclate à plusieurs mètres derrière eux et ils se tournent : ils avisent les six individus qui commencent à se menacer de mort, furieux. Ces gens s'apprêtent à s'affronter pour une affaire d'argent : et, déjà, d'autres personnes s'en mêlent. Ce qui augmente le risque déjà certain de voir tout ça dégénérer.

Se sentant apparemment peu concerné, Ethan se lève, sans une parole supplémentaire à l'adresse de Dorian. Ni pour le saluer ni quoi que ce soit : agacé que Dorian n'ait pas retenu la leçon et qu'il ait recommencé à commettre des actes ignobles, il se dirige vers la sortie.

Il franchit bientôt la porte, débouche dans le jardin et ne s'y attarde pas : il va rejoindre sa moto, la libère, l'enfourche et démarre avant de se déplacer vers la route. Il part ensuite bruyamment et à vive allure vers le centre-ville, encore plus en colère que tout à l'heure.

La Panthère de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant