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Le caméscope est maintenant en marche. Il ne va pas falloir le lâcher. Je jette un coup d'œil sur ma gauche ; quand je suis fortement poussée du côté opposé lors d'un virage, heureusement retenue par ma ceinture. J'aurais pu être violemment projetée contre la portière.

Le mec gère les virages comme un pro. Les accélérations sont démentes et les mouvements de la voiture fluides. J'espère qu'il n'y aura pas de dérapages ; en attendant je m'empare de la caméra et observe ce que renvoie le rétroviseur de devant. Je distingue une autre bagnole qui nous braque de ses phares éblouissants, assez proche derrière nous. Elle n'arrive pas à nous rattraper pour l'instant. J'ouvre la vitre. Le vent me fouette méchamment le visage. Je crains qu'un violent coup de volant me fasse lâcher le caméscope si je le brandis au-dehors pour filmer l'action en direct.

Le son furieux d'autres moteurs rugissent dans les environs : une troisième voiture arrive sur la voie d'à côté.

La perspective d'un choc mortel me glace les os. À cette vitesse ce serait facile d'être catapulté hors de l'asphalte. Et l'autre connard qui fait sa fusée, il risque de nous envoyer tous les trois dans le décor à force de nous coller comme ça !

— Laisse... le... te... dépasser ! crié-je au conducteur devant moi avec une rage pressée par l'urgence.

Le mec n'écoute pas, et accélère pour ne pas se laisser distancer.

— Tu risques de faire un tonneau !!! Si un truc arrive en sens inverse !!!!

Le gars est trop concentré pour prêter attention à moi.

Résistant à l'envie d'aller lui taper dessus pour prendre le volant et ralentir la bagnole, je saisis la caméra pour la porter près de la vitre ouverte. En la tenant de toutes mes forces je filme le véhicule adverse qui n'en démord pas et qui cherche à nous dépasser. À travers l'objectif je vois son conducteur, un type brutal aux cheveux très courts, tenter de gagner du terrain. Sa fulminante caisse défonce le bitume en accélérant encore et encore, le paysage défile à une vitesse hallucinante à la caméra. Je tourne l'appareil pour donner une vue plus large et circulaire de la situation, en bandant mes muscles pour ne pas la lâcher. J'ai peur des secousses et d'être violemment projetée en arrière, mais l'adrénaline me permet de tenir le coup. Je suis dans un état second, seuls le film et mes ressentis comptent désormais. Je m'accroche à ces ressentis qui me parcourent le corps ; ils sont tellement forts que même la peur s'en va.

Plus que le film c'est de le vivre en direct qui me galvanise. Je le ressens dans chaque fibre de mon corps. Je comprends ce que voulait dire Ethan.

D'un seul coup je subis un fort élan de travers et j'ai la respiration coupée net par la ceinture de sécurité qui s'est immédiatement resserrée. Je recule le caméscope juste à temps. Je reprends mon souffle, mais comme le connard dans la voiture à côté de nous amorce un nouveau virage je reste collée au siège. Ça ne m'empêche pas de filmer.

Oh ! Ce sale type a perdu l'avantage avec ces derniers deux tournants, on le dépasse !

Un autre nous colle au train... il y en a aussi d'autres devant aussi, mais mon coéquipier la joue safe pour l'instant. Ça me soulage. Le moindre mouvement et on est tous morts. Il ne tente pas de les dépasser et il a bien raison, ne cherche pas à les rattraper pour l'instant mais compte surtout sur sa bonne maîtrise de la route. Peut-être qu'il attend qu'ils fassent une erreur...

Un de nos concurrents agressif prend l'initiative de venir nous percuter légèrement le pare-chocs arrière, produisant de multiples gerbes d'étincelles. Mon coéquipier change brutalement de voie pour éviter l'accident. Il se décale mais je vois qu'il ne s'agit que d'une tactique : je déplace la caméra en conséquence et filme la suite telle une vraie vidéaste. Lorsque le salopard tente de s'engager plus en avant sur la voie on se rabat pour lui couper de moitié la route ; un crissement strident retentit si fort que j'en lâche mon caméscope ; la bagnole adverse dérape et sort du sentier balisé. Je crois que cette bagnole va heurter quelque chose et se retrouver catapultée sur le dos mais elle se stabilise. Trop tard pour regarder encore, nous on fonce à en décoller le bitume. J'ai filmé l'accident ça va !

Mon partenaire met le pied à l'accélérateur : il profite d'une ligne droite pour rattraper le temps perdu. Il ne vise pas vraiment la première place mais plutôt dans les trois premières. Il se prépare aux prochains virages ; je remets la main sur le caméscope et reviens près de la vitre ouverte afin d'avoir une bonne vue.

Je sors la tête dehors et la caméra. Mes cheveux battent furieusement ; je laisse mon excitation et mon exaltation éclater :

— UYYYYAOOOOUUUUU !!!

L'air tape et me claque parfois dessus, je bats fort du bras dehors jusqu'à m'en faire mal. J'avale et me nourris de la vitesse en cette liberté totale qui m'est offerte. Je suis obligée de bander mes biceps et serrer mes doigts autour du caméscope pour qu'il ne me soit pas arraché par une telle vitesse. Une sorte de bonheur me monte jusqu'à la nuque. La petite douleur due à l'air qui se fait lourd et acéré sur ma peau finit par me contraindre de rentrer la tête et les bras à l'intérieur du véhicule. Ça promet d'être un clip plus vivant que jamais ; mais je ne pense même pas à ça, seulement à la flamme qui m'anime et me survolte comme jamais.

On vient d'entrer en ville et les lumières ne sont plus que des lucioles qui auraient été soufflées par notre passage ; je vois ces myriades tout autour de moi et je me les approprie. Les autres voitures sont si insignifiantes et les bâtiments de même, absorbés par cette monumentale vitesse.

On ne reste pas longtemps dans la ville parce que c'est trop risqué et qu'il ne faut pas attirer l'attention de la police ; on ressort de la métropole avant de se diriger sur une route moins citadine.

Lorsque le véhicule commence à ralentir, je n'en crois pas mes yeux. Ni mes oreilles, ni tous mes autres sens. Je reste comme scotchée. On n'a pas rattrapé le peloton de tête, mais putain, quel moment dément. Un séisme de chaque instant, que je ressens encore dans chaque parcelle de mon être.

— Excuse, tu m'as parlé ?

Le conducteur, qui s'est enfin immobilisé, s'adresse à moi. Il ne m'a pas parlé depuis le début de la course. Ces paroles, peu à peu, me tirent de ma léthargie.

— Euh...

Je remue lentement les lèvres. J'ai du mal à retourner les pieds sur terre.

Je mets la main sur mon caméscope. J'ouvre la portière, à mon rythme. Je sors à l'extérieur. Je retrouve la terre ferme. Waw.

Mais je vais bien.

Une autre surprise m'attend. Lors d'une soirée extra comme celle-là, il faut s'y attendre que tout soit génial. Je le sentais depuis le début. Et je ne me suis pas trompée. La voiture que j'ai choisie pour le pari a gagné. Elle a fini première. Oh putain, je le sentais, je le sentais ! j'avais trop un bon feeling avec elle. Je vais pouvoir repartir avec pas mal d'argent. Un peu plus de trois mille euros. Dommage que je n'aie pas misé plus.

En tout cas mon cran et mon audace ont été récompensés !

J'apprends aussi une nouvelle intéressante. J'apprends qu'Ethan... a déjà participé à une course. Mais de motos, cette fois. Une course avec une centaine de concurrents.

Et... il l'a gagnée.

La Panthère de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant