La jeune revue Points&Contrepoints (ou plutôt, apparemment, sa réédition récente) constitue un bon exemple, selon moi, de ce qui doit être tenté en matière de littérature contemporaine et en l'occurrence de poésie, ainsi que de ce à quoi notre époque d'indigence créative ne permet plus d'accéder.
M. Scotto d'Apollonia a réuni en recueil une douzaine de poètes de notre siècle assez méconnus et offerts au jugement du lecteur ; il y a adjoint des travaux d'analyse poétique, une petite anthologie d'un poète célèbre sur lequel il arrête une focalisation, et l'interview d'un critique littéraire dont il interroge son rapport avec la poésie dans le monde. L'ensemble figure sous l'égide d'un manifeste ferme qui ambitionne de terminer enfin par de brillants exemples la période de nullité poétique que nous vivons aujourd'hui et depuis des décennies.
C'est exactement, à ce que je prétends, la méthode qu'il faut. Je ne ferais pas autrement un tel magazine si je me sentais l'initiative d'en constituer.
Ce directeur y a aussi un peu superfétatoirement ajouté sa traduction nouvelle d'un texte en prose de Lovecraft, le fameux « Dagon », au prétexte que ce récit aurait quelque légitimité à passer pour un poème (admettons) – il se trouve que je connais presque par cœur « Dagon » dans la traduction de Paule Pérez, et il ne m'a pas paru évident que cette nouvelle version, dont la facture insiste davantage sur l'ampoule classique et aristocratique, apporte une révolution de l'abord ou de la compréhension ; je l'ai néanmoins lu avec un certain intérêt curieux, le texte étant assez puissant pour susciter sans ennui une attention renouvelée –, plus sa critique du tableau « Olympia » de Manet qui se justifie encore plus difficilement, n'ayant pas directement trait à la poésie, et qui fait ici un peu « remplissage ». Cet aspect de « comblement » se discerne aussi à ce que, parmi les poètes élus pour figurer dans la revue, certains ne se cachent nullement, dans la présentation qui en est faite à la fin, d'être des dilettantes voire des amis du directeur, au point qu'on peut lire qu'un d'entre eux ne veut rien faire savoir de lui-même sinon qu'il est « né à une date inconnue et sous un autre nom », qu'un autre révèle les deux premiers chapitres d'un poème en prose « en cours d'écriture », et qu'un autre y livre, dans son analyse de François Villon, « l'extrait en avant-première » d'un essai sur le monde de la prostitution.
L'interview de Juan Asensio, dont j'ai déjà parlé par ailleurs, constitue une réjouissance à tous ceux qui ont pressenti, sans oser le formuler, que la littérature est devenue un désastre lénifiant : Asensio est toujours d'une pointe acérément juste à l'encontre de ce qui fait le vice intrinsèque du bouquin d'à présent, et son propos sur la poésie me semble aussi exact que sur la prose, fustigeant la pédanterie satisfaite des incompréhensibles plumitifs du vide et de la pavane pâmée qui s'abandonnent et qui « partagent », bien sûr. Le plus grand inconvénient de ce critique se situe, en revanche, en une certaine autocomplaisance à disserter longtemps de ce qui ne mérite que quelques mots lapidaires : on discerne chez Asensio le plaisir trop appesanti de celui qui goûte les duretés qu'il multiplie à l'envi mais sans apport très nécessaire. À force, je crois qu'Asensio pourrait lasser de ne répéter qu'un dégoût presque stercoraire : la jubilation s'essouffle au sujet rebattu, il y faut une pensée novatrice et inédite – mais il est bien vrai qu'en l'occurrence, ce n'était pas son intention, dans une simple interview.
André Chénier, dont la revue dresse un court dossier, m'était un poète ignoré, et, après l'avoir lu, je ne saurais beaucoup m'en repentir : c'est un auteur qui, dans la brève anthologie de textes ici choisis, me paraît assez inutile et niais, comportant un éloge (nuancé) de la France, toutes sortes de veules gentillesses sur l'amour et l'abandon, et maintes élégies sur la nécessité d'être amoureux pour se sentir du bonheur. Entendons que c'est bien rimé, à la façon rigoureuse et classique qui caractérise le genre poétique jusqu'à la fin du XIXe siècle, et que cela constitue un témoignage au moins formel de ce qu'est un travail appliqué au service d'une moindre idée, mais quant à la profondeur, cela manque autant, je crois, que de volonté puissante et révélatrice chez un Rousseau.
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
Non-FictionDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.