J'avais tâché il y a environ un an, pour mon incomparable Feu aux poudres (puisse cette œuvre supérieure, dans les temps à venir, être jugée avec l'admiration qu'elle mérite, et non pas avec l'incompréhension consternée et fâchée qu'elle suscite en notre époque de modestie et d'étroitesse d'esprit), de trouver un éditeur capable d'en comprendre la nécessité immédiate et le message profond – en vain. J'avais particulièrement cherché du côté des maisons spécialisées dans ce genre, plus politisées, subversives, attachées aux controverses, aux audaces et aux révoltes, et, parmi elles, il m'avait semblé que Agone pourrait être intéressé(e). C'était en réalité tout à fait ridicule de ma part : Agone, comme les autres en général, ne publie, à l'exception de ses amis et collaborateurs, que des auteurs déjà connus dont la notoriété souvent témoigne déjà d'une certaine bêtise de classe, d'une pensée partisane et d'une capacité au simplisme et au racolage. Bien entendu, j'ignorais cela à l'époque.
Toujours est-il que, comme nombre de petits éditeurs continuant d'entretenir l'illusion d'appels à manuscrits à dessein exclusif d'accroître leur clientèle, Agone utilisa, après un refus d'usage, mes coordonnées numériques pour m'envoyer dès lors régulièrement (et éhontément) la publicité de leurs parutions nouvelles, songeant sans doute qu'un aspirant auteur qui, de toute façon en France, ne peut guère prétendre à être édité s'il ne connaît personne, n'aura à la fin rien de mieux à faire, en attendant d'autres refus perpétuels, que de soulager ses angoisses en lisant pourquoi pas un peu de littérature polémique.
Je trouvais – bonne âme, décidément (on a bien tort de me juger le diable !) – un titre alléchant, celui qui figure ici en exergue ; j'en pris note et me rendis bientôt chez Franck, mon libraire.
Je ne veux pas revenir longuement sur le scandale qu'il y a à acquérir 90 pages d'essai pour dix-sept euros : on me prendrait pour un ladre, et un lecteur attentif et fidèle m'objecterait que cette indignation contredit ce que j'ai écrit par ailleurs sur la nécessité que le livre fût plus cher – on me considéra alors un libéral-capitaliste parmi les plus redoutables et inhumains – ; et cependant j'arguerais en retour que les auteurs à l'origine de cet ouvrage sont tous deux morts depuis plus de cent ans et qu'ainsi les rentes de ce travail ne peuvent plus leur profiter notamment pour en produire d'autres, de sorte qu'on est forcé de conclure que ce fruit revient largement à l'éditeur qui ne réalise à peu près qu'un coup de commerce en le vendant si cher puisqu'il est impossible que sa réalisation dépasse de beaucoup trois ou quatre euros ; n'importe cela, je n'en parlerai pas, et pas davantage je ne révélerai la façon sordide dont les maisons d'édition s'organisent entre elles pour fabriquer de toutes pièces de pareilles pénuries de façon à obliger les clients à acheter à prix d'or des œuvres qui, normalement tombées dans le domaine public depuis longtemps, devraient être plutôt accessibles gratuitement et même au format papier à partir de banques de données plus ou moins gratuites : non, communiquer de telles positions et dénoncer des profits indus ferait à présent de moi une sorte de révolutionnaire anarcho-communiste effroyable et sanguinaire – on voit comme on n'échappe pas, dans notre monde si aimable et policé, à tous les jugements catégoriels les plus ineptes et contradictoires quand on n'ambitionne que de dire, mais certes sans grands ménagements comme je le fais depuis toujours et parce que je ne prends aucun de mes lecteurs pour un agneau, des vérités simplement incontestables et impartiales.
Ainsi, n'en parlons plus !
On sait déjà certainement mon mépris explicite pour toutes les formes de croyance, et il ne se pouvait qu'un titre comme L'immoralité de la croyance religieuse ne m'attirât d'une façon ou d'une autre. En particulier, s'agissant d'une controverse entre deux auteurs du XIXème siècle, la vertu apéritive de cet ouvrage était pour moi irrésistible, un piège presque, comme on en fabrique aux oiseaux affamés au cœur de l'hiver.
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
NonfiksiDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.