Comme il est réjouissant, stimulant, rafraîchissant, d'être humilié par le vers de Rostand, qui n'en écrit presque pas un sans astuce, sans pittoresque, sans verve ou nécessité, et qui a su dépouiller son théâtre des utilités empesées qu'on y rencontre avec ponctualité ! Environ tout y est chatoyant, diapré, joyeux, humain, vif d'esprit et pourtant dynamique, naturel et radieux ! Quel sens de l'art ! quelle précoce science de l'art qui cependant s'abstient de s'afficher et de se promouvoir ! Quel exemple pour l'artiste ! quelles perspectives renouvelées à qui languissait de ne pas reconnaître de maîtres !
Les Romanesques, première pièce du recueil après laquelle je rédige ces mots, si elle est de sujet simple et plutôt pauvre – son intrigue modique, quoique pas indigente, bluette pastorale, artificielle bien sûr, dans le goût dix-septième des canevas connus à dessein surtout d'éprouver la virtuosité sincère, sert de prétexte à de folâtres écritures (mais rares sont les comédies, même parmi mes aimées, élevées de véritable et troublante profondeur – or, seraient-elles encore des comédies si c'était le cas ?) –, est rehaussée constamment d'un style d'effets choisis, efficaces, sans crânerie, virevoltants et conscients, et qui excite et pique l'émulation complice et surpassée de l'amateur de vers. Le langage est une maîtrise pleine de vitalité franche, un témoignage de littérature ciselée jusqu'en l'humour dont je ne sais guère d'équivalent en notre siècle prosaïque où même ce qui fait rire tend à s'annuler dans l'ostentation des moyens. Il est devenu presque impossible au lecteur perspicace de rire encore comme ici en confiance et sans indulgence ni condescendance, en la pure admiration enjouée mise sans cesse à l'épreuve de mots seyants et d'inventions malicieuses. Rostand est plus qu'orfèvre, car il ne se contente pas des déclamations ampoulées entravant la vie dans le drame pour en vanter l'auteur, mais il établit des caractères auxquels il confère une qualité d'existence, y ajoutant cette spiritualité primesautière qui paraît l'apanage des humains – c'est ce qui le magnifie, en un second temps. Le critique s'ajuste aux situations vérifiées pour vraisemblables et aux répliques attestées pour sensées et cohérentes, puis une étonnante fluidité, abondante, fourmillante, émane de cette composition, et l'emporte en amitié, et le gagne de gaîté bonne et sûre, dans une omniprésente variété de traits dont le conquièrent à la fois la simplicité et la subtilité, par touches successives et mêlées, en festons c'est-à-dire en nature et en dentelure.
Dans cette édition, Patrick Besnier, l'un des derniers universitaires à savoir préfacer, s'associe avec Guy Ducrey, qui doit être tout juste le second des derniers, pour informer sur ce que le lecteur peut vouloir savoir, de façon neutre et documentée, au lieu de pérorer comme ils font tous en faux style de dithyrambes pédants et injustifiables constituant la fleur aujourd'hui fanée plutôt que fine des professeurs publiés. Seules les présentations de Bertrand Degott sont, sans être tout à fait verbeuses, impatientantes par désir d'exhaustivité, parce qu'on peut douter, après soixante pages pour détailler la vie entière de Rostand, que quarante de plus étaient encore nécessaires pour ne parler que de la première pièce – mais le lecteur plus guindé que moi en jugera, et il y en a sans doute pour acheter ce volume chez Garnier à cinquante-neuf euros.
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L'introduction de Guy Ducrey à La Princesse lointaine est encore plus longue – plus de soixante pages – et, quoique exprimée en saine sobriété, s'éternise, au-delà du relevé nécessaire et intéressant des sources, en considérations thématiques intellectuelles et superfétatoires – le symbolisme, la fenêtre, Ibsen, la diction, le non... J'ignore qui commande en telle quantité des études qui évoquent de la thèse d'étudiants déplaisante même à leur directeur, mais on doit, je pense, pouvoir s'abstenir de tant de papier surnuméraire quand la feuille semble déjà si chère. J'imagine qu'il est un certain public pour lire tous ces commentaires, et je suppose qu'il faut notablement aller le chercher du côté des candidats de thèses qui attendent peut-être l'insigne honneur de préfacer un jour une pareille édition. C'est un cycle absurde et coûteux, sans parler du matériau-livre et de l'esprit-poseur qu'on dépense en vain : je n'en veux pas à l'introducteur, tant il paraît que, chez Garnier, c'est une coutume de gonfler le volume de manière qu'il fît belle impression, en jaune pour l'amateur, en rouge pour le professionnel (édition reliée à cent huit euros), dans une bibliothèque garnie de Pléiades qu'assurément on édifiera sans porte pour que les invités en profitent...
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
NonfiksiDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.