Nombre de journalistes américains et anglais devenus écrivains ont apparemment reçu en partage quelque agrément pour raconter des nouvelles anodines, dérisoires et mondaines : compendieux, ils ne racontent à peu près rien ; on ne discerne dans leurs récits nul grand désir de composition et de hauteur ; ils font diligemment de la page comme ils en avaient l'habitude du temps de leurs articles ; ils enchaînent les péripéties dépaysantes assorties de légèretés viriles de connivence avec un lecteur plutôt bourgeois qui apprécie la distraction littéraire quand elle est émaillée de plaisanteries pas trop fines et un peu absurdes pour bien entamer la journée – mais ils ne songent pas à réaliser des œuvres, ou c'est rare et alors le contraste avec leur manière habituelle se voit tout de suite. Ces auteurs semblent avoir admis que l'écriture est surtout une façon d'amuser, ce style attrayant devient une recette populaire, ils ont manifestement plaisir à faire adhérer le quidam pressé à leurs courtes trouvailles, et c'est peut-être par imitation d'Oscar Wilde qui, dans ses raffinements, avait l'excuse d'envisager des idées plus vastes que les traits d'esprit qu'il avait coutume, dit-on, d'improviser en façon de valorisation personnelle. On dit de ces écrivains qu'ils ont l'avantage de « représenter un siècle », un tour de pensée spécifique, quelque particulière couleur locale, notamment parce que leurs récits prennent en général pour cadre ou le milieu où leur lecteur se trouve et dont ils prétendent souligner, mais sans trop de dureté, les ridicules les plus manifestes et connus, ou au contraire le milieu fantasmé que ces lecteurs ont le plus de goût à voir dépeint, par exemple celui de la fortune ostentatoire ou des bandits pas trop dangereux et à l'humanité comique et paradoxale : cette représentation de siècle est sans doute vraie puisque ces auteurs ont cherché à correspondre et à complaire à ceux qui les lisaient, mais c'est là qu'ils demeurent éloignés de la définition noble d'un artiste : on a des pigistes du divertissement plus ou moins élevé, ayant sacrifié plus ou moins au nom de l'argent l'édification des individus à la vanité d'une situation professionnelle, et dont le temps plus ou moins perdu en rédactions aussi brillantes qu'inoffensives ne vaut pas toujours trois heures d'un travail acharné à essayer de faire entendre du neuf. C'est cet alcool du partage et de la célébrité qu'exhale O. Henry, ainsi que, à ce que j'ai supposé, un autre alcool plus trivial que je n'ai pas voulu cette fois vérifier et dont la présence se percevrait peut-être davantage dans un recueil de nouvelles moins sélectionnées et plus tardives – mais on va dire que je cherche des alcooliques partout. J'ai trouvé à ce recueil généralement une volonté de chute, ce qui n'est pas toujours le cas des Anglo-Saxons quand ils estiment qu'une notoriété leur a acquis le droit d'être paresseux et d'échapper aux règlements sauf à celui des tavernes, et une certaine élégance de gentleman, ce qui revient à dire une superficialité rehaussée d'une jolie canne et de facétieuses tapes dans le dos. On lit cela ce qu'il faut de douce intelligence pour s'en sentir favorablement disposé, mais on ne se figure pas ce qu'on gagnerait à y retourner ; une reconnaissance agréable peut à la rigueur tenir lieu d'invitation et de revisite si l'on n'a rien à lire de meilleur ou si l'on n'a pas une haute idée de ce qui peut s'écrire de mieux. C'est plaisant ; et je trouve, moi, quelquefois, que les plaisants sont fâcheux en ce qu'ils n'ont manifestement rien de plus à transmettre que leur humeur. O. Henry est un artisan stylé, et, quand il se sent enfin une intention de faire de l'art, il rédige avec minutie une nouvelle comme « Le langage des cactus », et l'on se demande pourquoi il ne fait pas que des écrits comme cela. « Il faut vivre » est, à cette interrogation, l'excuse perpétuelle de ceux qui consentent à un peu d'escroquerie pour placer rarement du talent : j'aime autant, moi, le talent pur, l'escroquerie consistant à me faire perdre du temps. J'imagine un tableau de la sorte : quelque part sur la toile, un détail représenté magnifiquement et avec éloquence, un motif fort, audacieux et qui exprime l'obstination d'un travail profond et acharné ; autour, de la grosse figuration pour bourgeois, point désagréable et dans la manière générale de l'œuvre mais avec ce qu'il faut pour clinquer de l'amateur ricanant et cherchant la sympathie du fabricant, ce bon O. Henry d'amitié ! Moi, j'y découpe la fenêtre, le carré artiste, et je balance le reste à la foule qui n'a qu'à s'amuser avec ces rogatons puisqu'il n'a pas l'air de savoir faire la différence – et, à vrai dire, alors, le créateur non plus.
À suivre, L'étrange défaite, Bloch.
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« « Non, mon cher monsieur, vous ne me ferez pas m'extasier devant un roman qui envoie un jeune Américain brillant dans un pays étranger, où il met un royaume sens dessus dessous simplement parce qu'il a fait des études supérieures et que c'est un sportif accompli. Et en plus, écoutez un peu la façon dont ils s'expriment ! »
Pescud ramassa son best-seller et chercha sa page.
« Écoutez-moi ça, dit-il. Trevelyan bavarde avec la princesse Alwina au fond du jardin où poussent les tulipes. Voilà ce que ça donne :
» "Ne dites pas cela, ô mon adorée, fleur ô combien capiteuse d'entre les plus belles des fleurs que la terre ait jamais portées. Me sera-t-il donné de m'élever vers le sublime ? Vous êtes un astre qui gravite si loin au-dessus de moi dans des cieux royaux... Et moi, je ne suis que... moi-même. Cependant, je suis un homme, et j'ai un cœur qui me pousse à agir et à défier le destin. Je ne possède aucun titre, sinon celui de souverain sans couronne ; mais j'ai un bras et une épée qui pourraient bien encore libérer le Schutzenfestenstein en déjouant les complots des traîtres."
» Imaginez un natif de Chicago armé d'une épée et parlant de libérer quelque chose dont le nom ressemble à ce point à une marque de porc en conserve ! Manifestement, il serait davantage disposé à se battre pour qu'on colle à ce produit une taxe d'importation. » » (pages 131-132)
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
Não FicçãoDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.