Notre cause commune, Étienne Chouard, 2019

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Cet ouvrage réalise pour moi le double exploit d'être d'une indigence à peine croyable chez un adulte d'un certain âge qui devrait être habitué à argumenter, et de toucher à une cause politique à laquelle je suis plutôt acquis, qu'il m'est difficile de contester et dont les partisans-mêmes devraient m'être au moins relativement sympathiques. Or, comment peut-on aussi mal écrire sur ce dont je suis si convaincu, au point presque de me dégoûter de mes propres alliés et de mes propres thèses ? Je vois qu'il vaut mieux tenir seul une opinion que d'être soutenu par une multiplicité d'acolytes de mauvaise foi : c'est qu'il devient humiliant alors d'être approuvé par des sottises et par des sots. Parfois sur Facebook ou au cours de débats publics, j'ai préféré démentir quelqu'un qui était de mon avis parce qu'il l'était pour de fausses raisons.

Notre cause commune n'est pas un essai, il n'en a pas la rigueur, il ne creuse pas son sujet, il n'en présente ni la pertinence ni même la forme argumentative, il ne démontre rien. J'ai constamment eu la sensation d'un ouvrage ne faisant que répéter ce qu'un écrit antérieur avait certainement mieux expliqué. On subit sans cesse l'impression que les preuves sont ailleurs et que l'auteur, pour être si allusif et négligent, le sait avec évidence et s'en accommode pour une raison qui ne lui laisse aucun scrupule et qu'il ne prend pas la peine d'indiquer. Peut-être que l'éditeur a simplement tiré parti du mouvement des Gilets Jaunes pour commander en urgence un opuscule facile à vendre dans un tel contexte – l'ouvrage serait pour cela très incomplet. Je l'ignore ; mais c'est indéniablement un livre vite écrit et qui n'aurait pas dû exister ainsi négligé, expédié et insuffisant.

Pour preuve : sur 122 pages, plus de quarante ne sont faites que de citations – le chapitre 7 entier – dont maintes sont apocryphes ou sans références, sans un commentaire, de la page 59 à 103, et c'est une facilité, un raccourci peu pardonnable, de supposer, comme le fait Chouard, qu'une citation peut se substituer à une raison même quand elle vient d'un auteur qu'on admire : elle nécessite toujours un renfort intellectuel, n'est qu'un soutien accessoire, pas un matériau constitutif d'un échafaudage réflexif. Si de surcroît, comme c'est le cas, une demi-douzaine de citations sont écrites ailleurs deux fois, le livre devient d'une imbécillité telle qu'on se demande quelle propagande l'auteur veut instiller, ou s'il suppose que le lecteur a déjà oublié aux pages 27, 29, 31 ou 32 les citations faites aux alentours de la page 20. Sa médiocrité est reconnaissable aussi dans le style d'une oralité assez marquée, au point qu'il paraît parfois la transcription de paroles improvisées, d'une conversation banale, d'une réponse hasardée, au lieu d'une synthèse exacte et dense faite pour servir de repère littéraire, comme ce paragraphe que j'ai sélectionné, éloquent sur le fond mais si défaillant sur la forme : « La Constitution, c'est donc un texte à affaiblir les pouvoirs. La constitution pour faire son boulot de protection, elle doit inquiéter les pouvoirs. Donc ils doivent la craindre. » (page 18) On peut ainsi juger paradoxal qu'un auteur si attentif à des citations condensées et tranchantes soit si insoucieux d'en réaliser lui-même d'aussi propres et nettes.

Surtout – et c'est où je fus négativement surpris –, Chouard, qui défend comme moi une démocratie de bon aloi, véritable et sincère, où le citoyen voterait lui-même les lois, ne fournit pour appuyer sa thèse à peu près aucun argument solide, rien que des apparences fallacieuses, sophismes et proverbes que je n'aurais pas osé aventurer tant leur faiblesse est évidente. Il me faut admettre que c'est, sur une idée que j'approuve presque entièrement, un livre de préjugés. Il semble que Chouard appartient à ces gens si enfermés en leurs certitudes qu'ils oublient les contradictions les plus simples qu'on peut leur rétorquer : le plus souvent, des présents de vérité générale lui tiennent lieu, avec des citations, d'irréfragabilité. Pas d'exemple circonstancié, pas d'échafaudage logique, et guère d'explication : tout doit être immédiatement su ou admis pour faux ou inexistant. Cet enfantillage a pour moi quelque chose de consternant et d'effroyable : on ne croit plus appartenir aux mêmes codes de la pensée.

Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant